Arthur s’excitait sur sa clochette.
— Pour Grin’ch, c’est incroyable ! Pourquoi vouloir le tuer ? Pourquoi ? Je vais aller le voir, moi, ce vieux con !
— Ne lui parle surtout pas de ça, je t’en prie ! Il m’a demandé de garder le silence. Il serait fou...
Cathy s’approcha de Clara et s’empara du minuscule cochon.
— En tout cas, personne ne l’approchera... Je me doutais bien qu’il était pas clair, ce type-là...
Une pensée terrible lui traversa l’esprit.
— Il pourrait essayer de convaincre David !
— Non, ne t’inquiète pas... David a refusé...
— Comment tu...
— Je dois y aller, mais, s’il te plaît...
Elle posa son index sur ses lèvres.
Son expression avait changé, définitivement. Celle d’une bête, qu’on convoyait à l’abattoir...
Une fois seule, Cathy fixa à nouveau la fenêtre du salon et frissonna.
Les lynx... Franz... Christian... La Chose... L’étau se resserrait. Dangereusement...
24.
En observant sa fille, assise à proximité de Grin’ch dans un angle du salon, Cathy sentit sa rage enfler. Elle ne pouvait imaginer la réaction de Clara si le petit animal venait à disparaître.
Lorsqu’elle entendit Doffre entrer dans la cuisine, elle se mordit les joues très fort pour ne pas exploser. Derrière lui, Adeline la suppliait du regard de ne rien dire.
Ni David, ni Adeline n’oseraient le tuer. Quant à ce vieil handicapé, il était bien incapable de le faire lui-même.
Restait la menace Emma Schild. Un porcin à tuer, pour quatre mille euros. Cette conne était capable d’accepter. Mais elle saurait l’en empêcher, dût-elle la séquestrer dans sa chambre.
« Vous allez regretter votre geste », lui avait-elle craché d’un air complètement absent. C’était ça, finalement, le plus effrayant. Ce visage creux et vide, presque transparent, capable de déverser des tonnes de lave en une fraction de seconde.
— Vous n’y êtes pas allée de main morte avec Emma, lui dit Arthur, tandis qu’Adeline l’installait à table. Elle est venue se plaindre, à l’instant, de votre comportement.
— Mon comportement ?
Arthur desserra un peu sa cravate et glissa délicatement une serviette sous le col de sa chemise blanche.
— J’espère sincèrement que vos petits différends vont s’arranger. Cela me peinerait de vous sentir mal à l’aise... Je ne voudrais pas que le bien-être de notre communauté s’en trouve déséquilibré. Ni que ces heurts puissent affecter les écrits de David.
Il avala un morceau de croissant puis s’essuya les lèvres de façon maniérée, avant d’ajouter :
— Il faut être tolérant avec cette jeune femme. Vous êtes suffisamment intelligente pour imaginer le traumatisme qu’elle vient de subir...
Cathy bouillait. Si elle restait ainsi en face de lui, elle allait lui tordre le cou. Elle se rua vers la cafetière, sans réfléchir, se versa une pleine tasse de café et l’ingurgita d’un trait. Voilà à quoi elle en était réduite : avaler la boisson qu’elle détestait le plus au monde.
— Et quel est le programme de la journée ? demanda-t-elle dans une grimace. Déplacement puis empilement de tous les meubles du chalet ?
— Ne soyez pas acide, répliqua Arthur en promenant ses doigts sur les courbes de son bol en faïence. Emma a juste bougé le lit et la commode. Certaines personnes ne parviennent pas à dormir la tête orientée vers le nord. C’est magnétique.
Il continuait à petit-déjeuner tranquillement, comme si la situation n’avait rien d’anormal. Cathy claqua sa tasse sur la table, le foudroyant du regard. Elle s’apprêtait à quitter la pièce quand David arriva, blouson fermé, bonnet, après-ski, écharpe à la main. Premier réflexe, la cafetière.
— Si tu comptes encore jouer les Rambo, c’est hors de question ! l’agressa immédiatement Cathy. L’expérience d’hier ne t’a pas suffi ?
David la regarda sans répondre. D’épouvantables cernes alourdissaient son visage. Il se tourna vers Doffre.
— La cabane de Franz se trouve bien derrière l’abri à bûches ?
— Effectivement. À un kilomètre selon les entomologistes. Il faut remonter vers le torrent, et le longer.
— Bon... Je vais aller jeter un œil. Je resterai sur mes gardes, ne vous inquiétez pas.
Il se dirigea vers l’arrière-cuisine et s’empara d’une bouteille de whisky.
— À notre tour de lui offrir un petit cadeau.
— C’est une excellente idée ! s’exclama Arthur.
Cathy explosa.
— Tu restes là !
— Calme-toi ! Tu ne vois pas qu’on va tous devenir fous si on continue comme ça ? Il faut crever l’abcès ! Je suis persuadé qu’il n’y est pour rien, et il pourra certainement nous expliquer ce qui se passe !
Elle lui agrippa l’épaule.
— Mais pourquoi tu veux y aller ? On pourrait préparer notre expédition ! S’enfermer ici et partir demain, très tôt ! Il y a bien une voiture qui passera sur cette putain de route !
— Avec ce qui est tombé cette nuit ? Plus de trente centimètres de neige ! Ça m’étonnerait que les saleuses circulent dans le coin !
Il s’adressa à Arthur :