Le lendemain, Bourne se pendait. Un jour avant l’exécution programmée de son huitième double-meurtre. Celui censé clore la série.
Un bref grésillement, provenant du filament de tungstène. Puis l’obscurité complète, avant le retour de la lumière.
Où était la fin ? La réponse aux questions ? L’élucidation du mystère ?
Non ! Cela ne pouvait pas se terminer de cette façon ! Toutes ces victimes...
« Voilà le plus important de toute une vie, répétait sa collègue Gisèle. La manière dont on va mourir. Le lieu, l’instant, l’ambiance. Tout se résume en une poignée de secondes... S’il y avait un souvenir à emporter, ce serait celui-là... »
Les Dumortier, Lefebvre, Potier, Pruvost, Cliquenois, Aubert, Böhme. Maris et femmes. Déchiquetés. Quel avait été l’ultime souvenir de ces gens-là ?
David prononça encore chaque nom, très lentement. Dumortier... Lefebvre... Potier... Pruvost... Cliquenois... Aubert... Böhme...
Sous ses yeux, leurs rapports d’autopsie, qu’il n’ouvrit même pas, se réservant le pire pour le lendemain. Il feuilleta de nouveau le dossier. Quelques articles de journaux. Les cartons vert pomme. Une photographie du Bourreau, vivant. Souriant, frange blonde sur le côté gauche, front très haut, barré d’une longue cicatrice. Strabisme prononcé. Stéréotype parfait du psychopathe. Le portrait-robot du Mal... Puis les expertises de la police scientifique, concernant la découverte du corps pendu de Bourne et les dizaines de preuves retrouvées à son domicile. Enfin les dépositions de témoins, prouvant sa culpabilité à cent pour cent.
Rien d’autre.
David rabattit la couverture, découragé. Durant toutes ces années, il n’avait rien appris. Toutes ces théories, ces hypothèses dressées au sujet du Bourreau, le décrivant comme un boucher, un être de colère, asocial, schizophrène. Du vent ! Mensonges ! L’esprit de Bourne était bien plus complexe. Plus ambigu.
David aurait donné cher pour savoir ce qu’avaient bien pu se confier ces deux êtres fracassés durant ces journées passées ensemble dans une chambre d’hôpital.
Bourne s’était-il suicidé simplement parce que Arthur l’avait rejeté ? Tout pouvait-il être aussi simple que cela ?
Non, bien sûr que non... Le praticien n’avait noté, sur ses bristols et son cahier, que ce qui l’arrangeait, c’était évident.
Toujours la même question, qui revenait : comment un psychologue avait-il pu ne pas déchiffrer, dans ces prunelles-là, la flamme rouge et perverse du psychopathe ?
L’influence...
« Tout est une question de point de vue, et d’influence », avait dit Arthur la première fois, dans le laboratoire. Qu’avait- il voulu dire ?
Il tira sur la chaînette, vidé de son énergie. Noir complet. Cinq heures vingt-trois du matin...
Avant de rejoindre sa chambre, il passa devant celle d’Emma, dont la porte était grande ouverte. Elle était éclairée par la lune, malgré le drap tendu devant la fenêtre. Sur l’écran blanc du tissu, des ombres pareilles à une toile d’araignée géante encoconnant un insecte.
David baissa les yeux. Une silhouette nue, sur le lit. Les reins cambrés, les fesses creusées, trop maigres, disgracieuses. La brune squelettique. Sa Marion...
Il voulut refermer la porte, mais il entendit la femme murmurer. Des chiffres, semblait-il.
— Marion... Emma ?
Aucune réaction. Juste ces mots qu’elle ne cessait de répéter, comme un souffle sorti de son rêve. David s’avança le plus doucement possible.
— Neun... archt... sieben... archt... vier...
La connexion fut instantanée. 98784. Le numéro ! Le numéro tatoué sur le crâne du troisième enfant !
S’il avait été cardiaque, David serait mort à cet instant-là.
Il secoua la maigre charpente, sans ménagement.
— Emma ! Emma... Emma !
Elle émergea, en sursaut. Très vite, elle glissa un drap sur son corps décharné, strié de quatre marques parallèles. La Chose...
— Was ! Was !
— Ce
numéro ! Ce numéro que vous venez de chuchoter !
Elle se frotta les paupières, pas certaine d’être réveillée.