— Je... Je l’ignore. Vous êtes jeune, et votre très jolie apparence. ... est plus proche du romancier de ténèbres que d’embaumeur. ... Vous devez avoir un tas d
— Désolé, mais...
— Au moins une !
David se réfugia derrière un sourire de politesse. Il détestait cette proximité qu’elle lui imposait.
— Non, non... Ce ne sont pas des choses dont on peut rire.
— Ne le prenez pas comme ça... S’il vous plaît, restez encore un peu. Je ne vous intéresse vraiment pas du tout ? Pourtant, vous avez risqué votre vie pour moi, sans vraiment me connaître. Et maintenant que vous avez l’occasion, vous fuyez ! Pourquoi ?
— Mais... Je n’ai pas risqué ma vie pour vous !
— Si ! Vous avez essayé d’aller à ma voiture pour...
— Mais non ! Je voulais juste comprendre ce qui vous était arrivé !
— Une cigarette... Il me faudrait vraiment une cigarette... Personne n’a ça, ici ?
David s’éloigna dans l’obscurité, sans même lui répondre.
— Si je prends peur, je sais où vous retrouver, ajouta-t-elle encore, criant un peu fort. Dans le
De la cuisine, Adeline lui lança un regard de tueuse. David posa son index sur ses lèvres.
— Chut, vous allez réveiller tout le monde. Oui, je travaille dans le laboratoire. Mais s’il vous plaît, évitez de venir pendant que j’écris... Même Cathy ne le fait pas.
Il l’entendit marmonner quelque chose, mais ne s’en soucia pas. Il s’envolait déjà vers Ailleurs. Son ailleurs.
La Rheinmetall noire, sous l’ampoule pleurant ses watts. Le siège en cuir usé, juste devant. Autour, les luminescences vertes des
Cette image lui plut, en définitive.
Une fois la porte fermée, David s’installa, descendit d’un trait un verre de whisky, s’en servit un deuxième... Des craquements, dans le corridor. Sans doute Emma ou Adeline qui allait finalement se coucher.
Il patienta calmement, le temps que l’alcool fasse son effet.
Il
brancha le lecteur CD et régla le volume au minimum.
Poils hérissés... Mains qui se rétractent... Doigts qui s’abattent sur les touches...
L’homme face à sa machine. Place à l’inconscient. Au moins soixante-dix pour cent des capacités cérébrales... Un renard, caché au fond d’un poulailler.
En avant... Phrases hachées, lettres torturées. Le style d’un boucher, entre les vers d’un poète. Quand il écrivait, il ne songeait plus qu’à cette face noire du monde. L’horreur, prête à jaillir dans le poison de ses lignes.
Cette forêt muette... Ces événements... Il en frémissait d’excitation...
À présent, le tsunami.
Ses pages... Les mots qui se déversent... Son héroïne, Marion, qui vient d’échapper aux griffes du Bourreau. La fumée qui sort de la cheminée. Elle pénètre dans le chalet, le souffle déchiré... Appelle à l’aide... Personne... Cuisine, salon. Sur le lit de la chambre, des revues pornographiques, des menottes, des cordes, imprégnées de sang séché. Elle est chez lui ! Chez celui qui vient de tuer son mari d’une balle dans la tête ! Et son enfant ? Qu’est-il arrivé à sa fille ? Comment a-t- elle pu les abandonner ? « Lâche ! Sale traîtresse ! » se maudit- elle. Elle s’effondre, se relève. Fuir, fuir... Un claquement de porte... Prise au piège. Des pas lourds. Le plancher qui craque, doucement, comme si l’autre marchait au ralenti. Le bruit qui enfle. Il approche. Elle veut mourir. Qu’il la tue ! Une douleur au creux de son ventre. « Non ! Ne crie pas ! Ne crie pas ! » Elle roule sous le lit. Ses muscles la brûlent.
Et la porte s’écarta lentement, en face, dévoilant une botte énorme dans l’embrasure...
David ôta la feuille de la Rheinmetall et l’empila sur les autres.
Maintenant
qu’il était lancé, le roman venait à lui avec une facilité déconcertante.
Comparé aux dix-huit mois que lui avaient demandés les six cent mille signes de
Jack Frost avait failli lui faire la peau.