— Calmons-nous, d’accord ? Arthur a raison. Tant que nous resterons ici, groupés, nous serons en sécurité. Et je le répète, on peut tout à fait rejoindre la B500...
Il savait qu’il exagérait. Quatre heures de marche était une maigre estimation, avec toute cette neige. Il avait réussi à se sortir des tourbières en retrouvant finalement son fil d’Ariane, mais la marche avait failli le briser... Il chercha Clara du regard, pour l’embrasser, la sentir. Elle devait dormir... Dire qu’il avait manqué de...
Il releva le menton, avant de poursuivre :
— ... Mais il est évident que nous devrons nous diviser en deux groupes, dont un restera ici... Et de toute façon, il faut attendre une amélioration de la météo. J’ai vu qu’il y avait des raquettes, dans la remise, qui pourront nous servir.
— Et une tronçonneuse, qu’on aurait intérêt à récupérer si on ne veut pas finir découpés en morceaux ! l’interrompit Cathy.
Excédé, David ignora la remarque.
— Étant donné l’état de mes jambes, je suis incapable de marcher avant deux jours. Je crois que la première chose à faire, demain, ce serait d’aller voir ce Franz... À condition que j’arrive à rester debout.
— C’est tout sauf une bonne idée, dit Adeline. Si c’est lui qui nous persécute, vous le voyez nous offrir le café et les spéculos ?
— Nous prendrons nos précautions... répliqua David. Bon, maintenant excusez-moi, mais je vais me doucher...
Emma se glissa devant lui.
— Encore une fois, vous n’auriez pas dû aller là-bas pour moi... Vous êtes très valeureux. Je...
Arthur s’interposa.
— Fichez-lui la paix à présent ! Il lui faut du repos !
Il suivit David jusqu’à l’entrée de la salle de bains.
— Tu as très bien parlé, je t’en remercie. Elles ont toutes besoin d’être rassurées.
David jeta un œil dans le couloir, personne ne les entendait.
— Avec cette ambiance électrique, nous ne tiendrons pas une journée de plus. Chacun est prêt à étrangler l’autre. Cathy est quelqu’un de très nerveux. Parfois elle est même explosive... Mais Adeline et Emma m’ont l’air d’avoir aussi des caractères drôlement trempés.
— Dis-moi que tu ne m’abandonneras pas en cours de route... Le roman... Il me faut absolument le roman...
Arthur avait un air pitoyable de hyène déchue.
— Je ne comprends toujours pas pourquoi c’est si important pour vous. Qu’est-ce que vous attendez de moi, réellement ?
— Simplement que tu me ramènes le Bourreau... Que tu le fasses se matérialiser... Pense à l’argent... Le vingt-huit, tout sera fini...
— Je m’en fiche pas mal de l’argent !
Il baissa d’un ton.
— Mais c’est d’accord, je reste. Je veux aller au bout de cette histoire...
Arthur changea instantanément d’attitude, comme on change de masque. Son front se dérida. Ses iris noirs exprimaient... pas de la reconnaissance, non... autre chose... Un soulagement infini ou... une forme de jouissance secrète.
— Une dernière chose, marmonna le jeune homme en rabattant lentement la porte. Je reste, mais ça ne signifie pas que je vous fasse confiance. Bien au contraire...
Arthur eut le temps d’attraper sa main. Il ferma les yeux, puis les rouvrit.
— J’aurais réagi exactement de la même façon, à ta place... On se ressemble tellement... Toi et moi, nous sommes liés...
David retira brusquement sa main et claqua la porte.
Il était frigorifié.
22.
Cathy s’était endormie. Trop de tension nerveuse. Une heure après le repas, elle s’était installée contre son mari, devant la chaleur des braises, incapable de combattre le sommeil que réclamait son organisme. David l’avait alors portée jusqu’à leur lit. Son épouse... Son enfant... Qu’avait-il voulu prouver en s’aventurant dans ces labyrinthes mortels ? Avec le recul, il était effrayé par son propre égoïsme.
De retour dans la cuisine, il ingurgita un bol de café. Au centre de la pièce, accoudée à la table, Adeline se tenait immobile, les yeux dans le vide.
— Vous n’allez pas vous coucher ? demanda David en rinçant son récipient.
— Pardon ? demanda-t-elle en secouant légèrement la tête.
Les pointes de sa chevelure rousse étaient emmêlées. Son visage démaquillé lui redonnait sa peau laiteuse, mouchetée d’un feu cuivré.
— Je vous demandais si vous alliez vous coucher, répéta David en s’asseyant à côté d’elle.
— Avec ce qui traîne dehors ? Je crois que mes nuits risquent de blanchir sérieusement.
Enfoncée dans le velours ocre d’une banquette, silencieuse, Emma veillait près de la cheminée. Elle les observait de loin.
— Et elle, pourquoi l’éviter ? chuchota David en la désignant discrètement du menton.
— Je... Je n’en sais rien. Depuis tout à l’heure, elle est devenue muette comme une carpe. En plus, je n’ai pas spécialement envie de lui parler. Mieux vaut la laisser tranquille, pour le moment... Elle semble sacrément bouleversée. Remarquez, il y a de quoi... Quinze kilomètres, seule dans les bois, la mort aux trousses...
Adeline se leva et avança jusqu’à la fenêtre, les bras croisés.