— Ce taré de Franz ! lança Adeline. Cette fois, il n’y a plus de doute !
David massait ses cuisses raidies.
— Je n’en ai malheureusement pas la preuve, regretta-t-il en faisant une grimace tant ses muscles lui tiraient. J’ai suivi des traces un bon bout de temps, jusqu’aux tourbières... où j’ai manqué de... me perdre.
— C’est forcément lui ! insista Adeline.
— Non, non... Pas obligatoirement, reprit David. D’autres chasseurs vivent peut-être dans la forêt... II... Il est certain qu’il s’agit de quelqu’un qui connaît bien la région, mais... si c’est Franz, pourquoi est-il allé poser la herse si loin ?
— Pour éviter qu’on le soupçonne ! Pourquoi vous ne voulez pas voir la vérité en face ? Qui rôde dans les parages ? Qui a pénétré ici ? Qui a posé ces lapins dépiautés ? Qui a dérobé les volets ? Il veut nous effrayer !
De ses deux mains, elle tira les traits de son visage, donnant l’impression qu’il était aspiré par-derrière.
— Une herse ! Et comment on va pouvoir repartir, maintenant ? demanda Cathy.
Elle se tourna vers Arthur.
— Dites-moi que vous avez des roues de secours !
— Une seule...
— Mais ! Mais vous pouvez bien joindre Christian ?
— Pas plus que vous.
— C’est pas vrai... C’est pas vrai !
Tout s’accélérait dans sa tête. David se leva et la prit dans ses bras. Emma se tenait en retrait, les yeux brillants. Son cœur battait encore furieusement.
— La situation n’a rien de dramatique, tempéra Arthur. Nous dispo...
— Là, tu m’excuseras, l’interrompit Adeline. La forêt, l’hiver, une femme qui débarque les vêtements lacérés, à la limite de rendre l’âme, et une Chose, dehors, qui vient d’anéantir notre seul lien avec le reste du monde. Impossible d’appeler du secours, évidemment, puisque nos téléphones ne fonctionnent plus. Et je suppose que, hormis Christian, censé venir nous chercher dans plus de trois semaines, personne ne sait où nous nous trouvons ? Je me trompe ?
Elle se tourna vers David.
— Non, répondit-il. Les parents de Cathy nous savent en Forêt-Noire, mais pas précisément où.
— Et pour vous Emma, c’est pareil ! Personne n’est au courant que vous avez pris cette route ! Autrement dit, ils peuvent vous rechercher n’importe où entre la France et l’Allemagne. C’est bien ça ?
Emma hocha la tête.
— Donc, tu avais bien raison, Arthur. La situation n’a rien de dramatique !
Il la fusilla du regard.
— Tu sais, je ne fais que constater ! Mais vas-y, grogna-t-elle encore. Vire-moi ! Et appelle-moi un taxi avant !
Le vieil homme ignora la remarque.
— Nous disposons de nourriture, de médicaments, d’armes... Ici, nous ne craignons rien. Je pense qu’on cherche juste à nous intimider...
— Formidable ! maugréa Adeline. En fait, nous sommes relégués au rôle de guerriers assiégés !
— Ecoute, calme-toi un peu ! Si celui qui a griffé Emma avait vraiment voulu l’éliminer, tu ne crois pas qu’il y serait parvenu ?
— D’autant plus que... là où j’ai crevé, il n’y avait que vos empreintes, précisa David en se tournant vers Emma. Apparemment, cette « chose » ne vous a pas poursuivie...
Les joues de Cathy s’empourprèrent. L’envie soudaine de les gifler tous les deux.
— Qu’est-ce que ça signifie ? Que vous comptez demeurer ici plus longtemps ?
Arthur posa l’index sur la roue de son fauteuil.
— Personnellement, je n’ai pas réellement le choix. Christian viendra nous chercher, Adeline et moi, le vingt-huit, pas avant... Et cela risque d’être la même chose pour vous, vu les circonstances. À moins que vous n’ayez une autre solution à me proposer. Dans ce cas, je suis preneur.
Cathy chercha du soutien du côté d’Adeline, mais elle n’y trouva qu’un regard absent.
— La mauvaise météo ne va pas arranger les choses, reprit David, mais une expédition jusqu’à la route est possible. Il y en a pour quatre heures environ, en marchant bien. Là, il nous suffira d’attendre une voiture, et de...
— Je vais retourner le couteau dans la blessure, l’interrompit Emma en s’avançant, mais, avec de telles tombées de neige, je ne suis pas sûre qu’il passe plus d’une ou deux voitures par jour, sur la B500. Il faut tenir la possibilité de rentrer...
— Vous, vous feriez mieux de la fermer, maugréa Cathy, avec vos
— Que croyez-vous ? Que ça me fait plaisir de me retrouver dans ce piège ? Après l’enterrement, je partais skier en Pologne pendant quinze journées ! Tous mes habits, papiers, argent sont dans mon auto, qui est fichue !
— Mais on en a rien à foutre que vous partiez skier ! C’est le cadet de nos soucis ! Il s’agit de nos vies, bon Dieu !
David s’interposa, écartant les bras. Chaque intervention virait à l’insulte, à l’agression. Tout se passait comme si la peur les dépossédait de leurs différences, de leur identité, pour les reconduire à leurs pulsions primitives.