« On ne peut rien y faire, Sam », dit Frodo avec tristesse. Il venait de se rendre compte que son départ du Comté entraînerait des séparations plus pénibles que le simple fait de dire adieu au confort familier de Cul-de-Sac. « Je devrai partir. Mais » – à ce moment, il regarda Sam dans le blanc des yeux – « si tu te soucies vraiment de moi, tu n’en souffleras
Sam tomba à genoux, tremblant de peur. « Debout, Sam ! dit Gandalf. J’ai pensé à quelque chose de mieux. Quelque chose qui vous clouera le bec et qui vous servira de correction pour avoir écouté. Vous allez partir avec M. Frodo ! »
« Moi, m’sieur ! s’écria Sam, bondissant comme un chien invité à faire une promenade. Moi, aller voir les Elfes et tout ? Hourra ! » s’écria-t-il, puis il fondit en larmes.
3Les trois font la paire
« Vous devriez partir bientôt et sans vous faire remarquer », dit Gandalf. Deux ou trois semaines s’étaient écoulées, et Frodo ne semblait toujours pas décidé à entamer les préparatifs de départ.
« Je sais. Mais c’est difficile de faire les deux à la fois, protesta-t-il. Si je me contente de disparaître comme Bilbo, le bruit se répandra dans tout le Comté en un rien de temps. »
« Évidemment que vous ne devez pas disparaître ! dit Gandalf. Ça n’irait pas du tout. J’ai dit
« Que diriez-vous de cet automne, le jour de Notre Anniversaire, ou après ? demanda Frodo. Je pense être en mesure de faire quelques préparatifs d’ici là. »
À vrai dire, il n’avait plus tellement envie de s’y mettre, maintenant que le temps était venu : sa résidence de Cul-de-Sac lui semblait plus enviable qu’elle ne l’avait été depuis des années, et il voulait profiter le plus possible de son dernier été dans le Comté. Il savait que l’automne venu, son cœur serait un peu plus enclin au voyage, comme chaque année en cette saison. En fait, il avait résolu en son for intérieur de partir le jour de son cinquantième anniversaire, le cent vingt-huitième de Bilbo. D’une certaine façon, cela semblait la journée idéale pour se mettre en route et suivre enfin ses traces. Suivre Bilbo, voilà ce qui lui importait par-dessus tout ; et c’était bien la seule chose capable de le réconcilier avec l’idée de partir. Il songeait le moins possible à l’Anneau, n’osant imaginer où celui-ci pourrait finir par le conduire. Mais il ne confiait pas chacune de ses pensées à Gandalf. Quant à ce que le magicien en devinait, c’était toujours difficile à dire.
Gandalf regarda Frodo et sourit. « Très bien, dit-il. Je pense que ça ira ; mais il ne faudra pas attendre plus longtemps. Je deviens très inquiet. Entre-temps, faites bien attention et ne donnez aucun indice de votre destination ! Et veillez à ce que Sam Gamgie reste muet. S’il ouvre la bouche, je vais vraiment le changer en crapaud. »
« Pour ce qui est de ma
« Ne dites pas de sottises ! répondit Gandalf. Je ne suis pas en train de vous dissuader de laisser une adresse au bureau de poste ! Mais vous quittez le Comté – et cela ne doit pas se savoir avant que vous soyez loin. Et vous devrez voyager (ou du moins partir) dans une direction ou une autre, que ce soit le nord, le sud, l’ouest ou l’est – et cela doit encore moins se savoir. »
« J’ai été tellement tracassé par l’idée de quitter Cul-de-Sac et de faire mes adieux que je n’ai même pas songé à la direction que je prendrai, dit Frodo. Car où puis-je aller ? Où mettre le cap ? Et quelle doit être ma quête ? Bilbo partait à la recherche d’un trésor, aller et retour ; mais moi, c’est pour en perdre un, y renoncer et ne pas revenir, pour autant que je puisse voir. »
« Vous ne pouvez cependant voir très loin, dit Gandalf. Ni moi non plus. Vous aurez peut-être à trouver les Failles du Destin ; mais cette quête peut échoir à d’autres : je l’ignore. En tout cas, vous n’êtes pas encore prêt pour cette longue route. »
« Non, en effet ! dit Frodo. Mais en attendant, quel chemin dois-je prendre ? »
« Celui du danger ; mais pas de manière trop inconsidérée, ni trop directe, répondit le magicien. Si vous voulez mon avis, rendez-vous à Fendeval. Ce voyage ne devrait point s’avérer trop périlleux, bien que la Route soit moins commode qu’avant ; et elle le sera encore moins à mesure que l’année avance. »