Le 20 septembre, deux charrettes recouvertes de toile partirent pour le Pays-de-Bouc, acheminant les meubles et les autres biens exclus de la vente vers son nouveau chez-lui, en passant par le Pont du Brandivin. Le lendemain, Frodo devint très anxieux, guettant sans cesse l’arrivée de Gandalf. Le jeudi matin, jour de son anniversaire, l’aube fut aussi claire et belle qu’elle l’avait été jadis pour la grande fête de Bilbo. Mais Gandalf ne se montra pas. Le soir, Frodo donna son festin d’adieu, qui fut très modeste, se résumant à un dîner pour lui et ses quatre amis ; mais il demeurait très préoccupé et ne se sentait pas le cœur à la fête. L’idée de devoir bientôt se séparer de ses jeunes amis lui pesait beaucoup. Il se demandait comment il leur annoncerait la nouvelle.
Les quatre jeunes hobbits se sentaient toutefois de fort bonne humeur, et la fête devint bientôt très joyeuse malgré l’absence de Gandalf. La salle à manger était vide, à l’exception d’une table et de quelques chaises, mais la nourriture était excellente et le vin à l’avenant : le bon vin de Frodo ne faisait pas partie de la vente aux Bessac-Descarcelle.
« Quoi qu’il advienne du reste de mes affaires quand les B.-D. mettront le grappin dessus, j’aurai au moins trouvé une bonne place pour ça ! » dit Frodo en vidant son verre. C’était la dernière goutte de Vieux Vinoble.
Quand ils eurent chanté maintes chansons et se furent rappelé tous ces bons moments passés ensemble, ils levèrent leurs verres afin de célébrer l’anniversaire de Bilbo, buvant à sa santé et à celle de Frodo selon la coutume de ce dernier. Puis ils sortirent prendre un peu d’air et jeter un coup d’œil aux étoiles, avant d’aller se coucher. La fête était terminée, et Gandalf n’était pas venu.
Le lendemain matin, ils s’occupèrent de charger une dernière charrette de bagages. Merry prit la place du conducteur et partit avec Gros-lard (c’est-à-dire Fredegar Bolgeurre). « Quelqu’un doit aller réchauffer la maison avant ton arrivée, dit Merry. On se revoit donc bientôt : après-demain, si tu ne t’endors pas en chemin ! »
Folco rentra chez lui après le déjeuner, mais Pippin demeura à Cul-de-Sac. Frodo était agité et inquiet, guettant une quelconque rumeur de Gandalf. Il décida d’attendre la tombée de la nuit. Après, si Gandalf désirait le voir d’urgence, il se rendrait à Creux-le-Cricq ; il pourrait même y être en premier. Car Frodo partait à pied. Il avait décidé – aussi bien pour le plaisir, et pour voir une dernière fois le Comté, que pour toute autre raison – de marcher de Hobbiteville au Bac de Fertébouc, sans trop se presser.
« Ce sera aussi l’occasion de reprendre un peu la forme », dit-il en se regardant dans une glace qui prenait la poussière dans le hall d’entrée à moitié vide. Cela faisait un moment qu’il n’avait pas fait de promenade un peu éprouvante, et son reflet avait des allures un peu flasques, se dit-il.
Après le déjeuner, les Bessac-Descarcelle, Lobelia et son fils aux cheveux sable, Lotho, débarquèrent à Cul-de-Sac, au grand déplaisir de Frodo. « Enfin à nous ! » dit Lobelia en entrant, ce qui n’était guère poli, ni tout à fait vrai, car la vente de Cul-de-Sac ne prenait pas effet avant minuit. Mais on le lui pardonnera sans doute : pour être chez elle à Cul-de-Sac, Lobelia avait dû attendre environ soixante-dix-sept ans de plus qu’elle ne l’avait escompté autrefois, et elle avait à présent cent ans. Quoi qu’il en soit, elle venait s’assurer que rien de ce qu’elle avait payé de ses deniers n’avait été emporté ; et elle voulait les clefs. Il fallut longtemps pour la satisfaire, car elle arrivait avec un inventaire complet qu’elle vérifia du début à la fin. Elle finit par partir avec Lotho, un double de la clef, et la promesse que l’autre clef serait laissée chez les Gamgie, rue du Jette-Sac. Elle eut un reniflement de dédain, donnant à entendre qu’elle croyait les Gamgie capables de dévaliser le trou pendant la nuit. Frodo ne lui offrit pas le thé.
Il prit le sien avec Pippin et Sam Gamgie dans la cuisine. Il avait été officiellement annoncé que Sam s’en allait au Pays-de-Bouc pour « assister M. Frodo et entretenir son petit bout de jardin », un arrangement approuvé par l’Ancêtre, mais qui ne fit rien pour consoler celui-ci d’avoir bientôt Lobelia comme voisine.
« Notre dernier repas à Cul-de-Sac ! » dit Frodo, repoussant sa chaise. Ils laissèrent la vaisselle à Lobelia. Pippin et Sam assurèrent leurs trois paquets avec des sangles et les déposèrent en tas à l’entrée. Pippin s’en alla faire une dernière promenade dans le jardin. Sam disparut.