« Le courage se trouve parfois en des endroits inattendus, dit Gildor. Aie bon espoir ! Dors, maintenant ! Au matin, nous serons partis ; mais nous enverrons nos messages de par les terres. Les Compagnies Errantes auront connaissance de votre voyage, et ceux qui ont le pouvoir de faire le bien seront aux aguets. Je te nomme Ami des Elfes ; et puissent les étoiles briller sur la fin de ta route ! Rarement la compagnie d’étrangers nous a-t-elle donné autant de plaisir, et il fait bon d’entendre des mots du Parler Ancien de la bouche d’autres voyageurs en ce monde. »
Frodo sentit le sommeil l’envahir au moment même où Gildor achevait de parler. « Je vais dormir, maintenant », dit-il ; et l’Elfe le conduisit sous une charmille à côté de Pippin. Il s’affala sur un lit et fut aussitôt plongé dans un sommeil sans rêve.
4Raccourci aux champignons
Le lendemain matin, Frodo se réveilla frais et dispos. Il reposait sous une charmille formée par un arbre vivant, aux branches entrelacées qui traînaient jusqu’à terre ; son lit épais et moelleux était composé de fougères et d’herbes, et libérait un étrange parfum. Le soleil brillait à travers les feuilles frémissantes, encore vertes sur l’arbre. Il se leva d’un bond et sortit.
Sam était assis dans l’herbe à l’orée du bois. Pippin se tenait debout, observant le ciel et le temps qu’il faisait. Il n’y avait aucune trace des Elfes.
« Ils nous ont laissé des fruits et du pain, et des boissons, dit Pippin. Viens donc prendre ton petit déjeuner. Le pain est presque aussi bon qu’hier soir. Je ne voulais pas t’en laisser, mais Sam a insisté. »
Frodo s’assit auprès de Sam et commença à manger. « Quel est le programme pour aujourd’hui ? » demanda Pippin.
« Nous rendre à Fertébouc le plus vite possible », répondit Frodo, reportant aussitôt son attention sur la nourriture.
« Crois-tu qu’on va revoir ces Cavaliers ? » demanda Pippin avec entrain. Sous le soleil du matin, la perspective d’en rencontrer toute une armée ne lui semblait pas très effrayante.
« Oui, probablement, dit Frodo, qui aurait préféré ne pas se souvenir. Mais j’espère pouvoir franchir le fleuve sans qu’ils nous aperçoivent. »
« As-tu pu tirer quelque chose de Gildor à leur sujet ? »
« Pas vraiment ; seulement des sous-entendus et des énigmes », dit Frodo de manière évasive.
« Tu lui as demandé, pour les reniflements ? »
« On n’en a pas parlé », répondit Frodo la bouche pleine.
« Vous auriez dû. Je suis bien certain que c’est très important. »
« Si c’était le cas, je suis bien certain que Gildor aurait refusé d’en parler, dit Frodo avec brusquerie. Maintenant, laisse-moi un peu la paix ! Je ne veux pas être assailli d’une série de questions pendant que je mange. Je veux penser un peu ! »
« Juste ciel ! fit Pippin. Au petit déjeuner ? » Il s’éloigna vers le bord de la pelouse.
Dans l’esprit de Frodo, le clair matin – dangereusement clair, se disait-il – n’avait pas chassé la crainte d’être poursuivi. Il méditait les paroles de Gildor, quand la voix enjouée de Pippin lui parvint. Celui-ci courait sur l’herbe en chantant.
« Non ! Je ne pourrais pas ! se dit-il. C’est une chose que d’emmener mes jeunes amis se promener à travers le Comté, jusqu’à ce que nous soyons fatigués et affamés, et que lit et nourriture nous soient doux. Mais les forcer à l’exil, où la fatigue et la faim sont peut-être sans remède, c’est tout autre chose – même s’ils sont disposés à m’accompagner. Cet héritage n’appartient qu’à moi. Je ne pense pas que je devrais même emmener Sam. » Il tourna la tête vers Sam Gamgie et se rendit compte que Sam l’observait.
« Bon, Sam ! fit-il. Qu’en dis-tu ? Je quitte le Comté aussitôt que je le pourrai – en fait, j’ai décidé de ne même pas attendre un jour à Creux-le-Cricq, si c’est possible. »
« Très bien, m’sieur ! »
« Tu as toujours l’intention de me suivre ? »
« Toujours. »
« Ce sera très dangereux, Sam. Ce l’est déjà. Sans doute qu’aucun de nous deux ne reviendra. »
« Si vous revenez pas, m’sieur, alors moi non plus, c’est certain, dit Sam.
« Qui ça,
« Les Elfes, m’sieur. On a un peu parlé hier au soir ; et ils avaient l’air de savoir que vous partiez, alors j’ai pas cru bon de le nier. Des gens merveilleux, ces Elfes, m’sieur ! Merveilleux ! »
« En effet, dit Frodo. Les aimes-tu encore, maintenant que tu les as vus de plus près ? »