« Ils semblent un peu au-dessus de ce que je peux aimer ou non, pour ainsi dire, répondit Sam avec hésitation. Ça n’a pas l’air important, ce que je pense d’eux. Ils sont assez différents de ce que j’imaginais : si vieux et si jeunes, si gais et si tristes, en quelque sorte. »
Frodo regarda Sam d’un air plutôt étonné, s’attendant presque à voir apparaître un signe extérieur de l’étrange transformation qu’il paraissait avoir subie. Ce n’était pas la voix du vieux Sam Gamgie qu’il pensait connaître. Mais c’était bien le vieux Sam Gamgie qui était assis là, sinon qu’il avait un air inhabituellement pensif.
« Sens-tu toujours le besoin de quitter le Comté… maintenant que ton désir de les rencontrer s’est déjà réalisé ? » demanda-t-il.
« Oui, m’sieur. Je ne sais pas comment le dire, mais après cette nuit, je me sens différent. On dirait que je vois devant moi, d’une certaine façon. Je sais qu’on va prendre une très longue route, qu’elle va nous conduire dans les ténèbres ; mais je sais que je peux pas faire demi-tour. C’est pas pour voir des Elfes, maintenant, ni des dragons ou des montagnes, que je veux… je sais pas très bien ce que je veux ; mais j’ai quelque chose à faire avant la fin, et c’est en avant, pas dans le Comté. Je dois aller jusqu’au bout, m’sieur, si vous me comprenez. »
« Pas complètement. Mais je comprends que Gandalf m’a choisi un bon compagnon. Je suis content. Nous irons ensemble. »
Frodo termina son petit déjeuner en silence. Puis, se levant, il contempla les terres devant lui, et appela Pippin.
« Prêt au départ ? dit-il tandis que Pippin remontait en courant. Il faut partir à l’instant. Nous avons dormi tard ; et il y a encore de nombreux milles à faire. »
«
« J’ai fini les deux, maintenant. Et je vais aller au plus vite vers le Bac de Fertébouc. Je ne vais pas faire un détour pour rejoindre la route que nous avons quittée la nuit dernière : je vais aller tout droit à travers champs en partant d’ici. »
« Alors tu vas devoir voler, dit Pippin. Tu ne trouveras jamais moyen d’aller tout droit à pied dans cette campagne. »
« On pourra toujours aller plus droit que la route, répondit Frodo. Le Bac est à l’est de Boischâtel ; mais le grand chemin décrit une courbe vers la gauche – tu peux en voir une partie là-bas au nord. Il contourne l’extrémité nord de la Marêche, de façon à rejoindre au-dessus d’Estoc la chaussée qui court depuis le Pont. Mais c’est à des milles d’où nous allons. Nous pourrions réduire la distance d’un quart en partant en ligne droite vers le Bac de l’endroit où nous sommes. »
«
« Les gens sont plus difficiles à trouver dans les bois et au milieu des champs, répondit Frodo. Et si vous êtes censé être sur la route, il y a de fortes chances qu’on vous cherche sur la route et non en dehors ! »
« Ça va ! dit Pippin. Je te suivrai dans tous les bourbiers et les ronciers. Mais c’est dur ! J’espérais que nous passerions par la
« Ça règle la question ! dit Frodo. Les raccourcis mènent à de longs retards, mais les auberges en amènent de plus longs. Il faut à tout prix te tenir loin de la
« J’irai avec vous, monsieur Frodo », dit Sam (malgré quelques doutes, et un profond regret de devoir renoncer à la meilleure bière du Quartier Est).
« Alors, s’il nous faut affronter les bourbiers et les ronces, allons-y tout de suite ! » dit Pippin.
Il faisait déjà presque aussi chaud que le jour précédent ; mais des nuages commençaient à s’amonceler à l’ouest. Le temps semblait à la pluie. Les hobbits dévalèrent un talus vert à pic, puis ils plongèrent dans les arbres serrés situés en contrebas. L’itinéraire choisi laissait Boischâtel sur leur gauche, coupait de biais à travers les bois entassés sur le versant oriental des collines et débouchait sur les plaines au-delà. Ils pourraient alors continuer tout droit vers le Bac, allant en rase campagne sans rencontrer d’autre obstacle que quelques fossés et clôtures. Frodo estimait qu’ils avaient dix-huit milles à parcourir en ligne droite.