— Ce n’est vrai que pour les très grandes vitesses, proches de celle de la lumière, qui font que le vaisseau, tel un rayon lumineux, avance en ligne droite ou suivant une courbe dite d’égales intensités.
— Si j’ai bien compris, vous voulez diriger notre astronef droit sur le système solaire ?
— C’est là la grosse difficulté de la navigation astrale. II est pratiquement impossible de viser telle ou telle étoile, malgré toutes les corrections apportées aux calculs. Il faut escompter sans cesse l’erreur qui s’accroît en cours de route et changer de direction en conséquence, ce qui exclût l’automatisation absolue de la commande. En ce moment, nous sommes dans une mauvaise passe. Un arrêt, voire un ralentissement brusque après l’élan, serait fatal, car nous n’aurions plus de quoi reprendre de la vitesse. Tenez, le voilà le danger : la région 344 + 2U est inexplorée. On n’y connaît ni étoiles ni planètes habitées, mais seulement un champ de gravitation, dont voici la limite. Pour nous décider, consultons les astronomes : nous réveillerons tout le monde après le cinquième tour, et en attendant ...
Erg Noor se frotta les tempes et bâilla.
— L’action de la sporamine touche à sa fin, s’écria Niza. Vous pouvez vous reposer !
— Bien, je vais m’installer dans ce fauteuil ... Peut-être y aura-t-il un miracle, ne serait-ce qu’un son !
L’accent d’Erg Noor fit palpiter de tendresse le cœur de Niza. Elle aurait voulu presser contre sa poitrine cette tête volontaire et caresser ces cheveux bruns, mêlés de fils d’argent précoces.
La jeune fille se leva, rangea avec soin les feuillets documentaires et éteignit, ne laissant qu’un faible éclairage vert le long des pupitres qui supportaient les appareils et les montres. Le vaisseau décrivait paisiblement son cercle immense dans le vide absolu. L’astronavigatrice aux cheveux roux se posta en silence au « cerveau » de la
Au-dedans d’elle-même, Niza était calme : elle avait foi en son chef. Les cinq années de voyage ne lui paraissaient ni longues ni fatigantes. Surtout depuis qu’elle aimait ... Mais auparavant déjà, les observations passionnantes, les enregistrements électroniques des livres, des concerts et des films lui avaient permis de compléter sans cesse ses connaissances et d’oublier la nostalgie de la belle Terre, disparue comme un grain de sable au fond des ténèbres infinies. Ses compagnons, très érudits, l’intéressaient par leurs entretiens, et lorsqu’elle avait les nerfs fatigués par les impressions ou l’intensité du travail, un sommeil prolongé, entretenu par un réglage sur les ondes hypnotiques après une courte préparation médicale, engloutissait de grands laps de temps ... Et puis Niza était heureuse auprès de son bien-aimé. Ses inquiétudes ne tenaient qu’aux difficultés qu’éprouvaient les autres, et surtout lui, Erg Noor. Si seulement elle avait pu ... mais que valait-elle, pauvre débutante, à côté d’hommes de cette envergure ! Pourtant, elle les aidait peut-être par sa tendresse, sa bonne volonté, son désir ardent de les seconder dans leur pénible tâche ...
Le chef de l’expédition se réveilla et leva sa tête alourdie. La mélodie se poursuivait, harmonieuse, mais toujours interrompue par les coups espacés du moteur planétaire. Niza Krit surveillait les appareils, le dos un peu voûté, son jeune visage marqué d’ombres de lassitude. Erg Noor jeta un regard sur l’horloge dépendante9 et se mit debout d’une détente.
— J’ai dormi quatorze heures ! Et vous ne m’avez pas réveillé, Niza ! C’est ... il demeura court devant le joyeux sourire qu’elle lui adressait, allez vous reposer à l’instant !
— Permettez que je dorme ici ... comme vous ? demanda la jeune fille. Elle courut prendre un casse-croûte, fit sa toilette et s’installa dans le fauteuil. Ses yeux vifs, cerclés de bistre, observaient à la dérobée Erg Noor qui, rafraîchi par une douche ondique et réconforté par une collation, l’avait relevée aux appareils. Ayant vérifié les témoignages des indicateurs de PCE — protection des contacts électroniques —il marcha de long en large, à pas précipités.