— Pourquoi ne dormez-vous pas ? demanda-t-il d’un ton impérieux à l’astronavigatrice.
Elle secoua ses boucles rousses qui avaient besoin d’être coupées : Iles membres des expéditions extra-terrestres ne portaient jamais les cheveux longs.
— Je songe ... commença-t-elle, hésitante, et maintenant que nous frisons le danger, je m’incline devant la grandeur de l’homme qui est parvenu jusqu’aux étoiles, à travers l’immensité, de l’espace ! Vous êtes familiarisé avec cette situation, tandis que moi, j’en suis à mon premier séjour dans le Cosmos ! Dire que je fais un voyage interstellaire, vers des mondes nouveaux !
Erg Noor eut un faible sourire et se passa la main sur le front.
— Je dois vous désabuser, ou plutôt vous montrer la véritable portée de notre puissance. Voilà, il s’arrêta devant le projecteur et l’on vit, sur la paroi postérieure de la cabine, la spirale lumineuse de la Galaxie. Erg Noor montra, au bord de la spirale, une traînée d’étoiles clairsemées, presque imperceptible.
— C’est une région désertique de la Galaxie, sa marge pauvre de vie et de lumière, où se trouve notre système solaire et où nous sommes en ce moment ... Mais, vous le voyez, cette branche va du Cygne à la Carène et, sans compter son éloi-gnement des zones centrales, elle contient là un nuage opaque ... Notre
Niza écoutait, recueillie.
— Les premiers vols interstellaires ... continua Erg Noor rêveur. De petits vaisseaux lents, vulnérables ... Et la vie de nos ancêtres était deux fois plus brève que la nôtre — voilà où la grandeur de l’homme était vraiment digne d’admiration !
Niza redressa la tête d’une saccade, comme elle faisait toujours pour protester.
— Plus, tard, dit-elle, quand on aura appris à vaincre l’espace sans y foncer à corps perdu, on dira de vous : fallait-il être héroïque pour conquérir le Cosmos par ces moyens primitifs !
Erg Noor sourit gaiement et tendit la main à la jeune fille.
— On le dira aussi de vous, Niza ! Elle rougit.
— Je suis fière d’être à vos côtés ! Et je donnerais tout pour retourner encore et encore dans le Cosmos.
— Oui, je sais, fit-il, songeur. Mais il y en a qui pensent autrement !
Niza devina par son intuition féminine ce qu’il voulait dire. Il y avait dans sa cabine deux magnifiques stereoportraits aux tons violet et or, qui représentaient l’historien Véda Kong, belle femme aux yeux bleus et limpides comme le ciel terrestre, sous de longs sourcils arqués ... Bronzée, montrant dans un sourire des dents éblouissantes, elle touchait des mains ses cheveux cendrés. Et la voici riant aux éclats sur une pièce d’artillerie navale, monument de la plus haute antiquité ...
Erg Noor avait perdu son entrain ; il s’assit lentement devant l’astronavigatrice.
— Si vous saviez, Niza, avec quelle brutalité le destin a détruit mon rêve là-bas, sur Zirda ! dit-il soudain d’une voix sourde, et il posa délicatement les doigts sur la manette des moteurs à anaméson, comme s’il voulait accélérer au maximum le vol de l’astronef.
— Si Zirda n’avait point péri et que nous eussions pu nous réapprovisionner en carburant, continua-t-il en réponse à la question muette de Niza, j’aurais conduit l’expédition plus loin. C’était convenu avec le Conseil. Zirda aurait envoyé à la Terre les messages requis, et la
— Qui aurait consenti à rester sur Zirda ? s’écria la jeune fille indignée. Peut-être Pour Hiss ? Un grand savant comme lui ne se laisserait-il pas entraîner par le désir de savoir ?
— Et vous, Niza ?
— Moi ? Bien sûr !
— Oui mais où ? demanda-t-il soudain d’un accent ferme, en la regardant au fond des yeux.
— N’importe où, même ... — elle montra le gouffre noir entre deux spires de la Galaxie, et rendit à Noor son regard soutenu, les lèvres entrouvertes.
— Non, non, pas si loin ! Vous savez, Niza, ma chère astronavigatrice, qu’il y a près de quatre-vingt-cinq ans, a eu lieu la trente-quatrième expédition astrale, dite « à relais ».