Читаем La planète des singes полностью

— Mille fois mieux, confirma Cornélius, qui partageait la surexcitation de son collègue. Écoutez-moi bien. Cette femme parle, elle aussi ; vous allez l’entendre ; mais elle ne répète pas des paroles entendues en captivité. Ses discours ont une signification exceptionnelle. Par une combinaison de procédés physico-chimiques dont je vous épargne la description, le génial Hélius a réussi à réveiller en elle non pas seulement la mémoire individuelle, mais la mémoire de l’espèce. Ce sont les souvenirs d’une très lointaine lignée d’ancêtres qui renaissent dans son langage, sous l’excitation électrique ; des souvenirs ataviques ressuscitant un passé vieux de plusieurs milliers d’années. Comprenez-vous, Ulysse ? »

Je restai confondu par ce discours insensé, pensant vraiment que le savant Cornélius était devenu fou ; car la folie existe chez les singes, particulièrement chez les intellectuels. Mais déjà, l’autre chimpanzé préparait ses électrodes et les appliquait sur le cerveau de la femme. Celle-ci resta un certain temps inerte, comme l’avait fait l’homme, puis elle poussa un long soupir et commença à parler. Elle s’exprimait également en langage simien, d’une voix un peu étouffée quoique très distincte, et qui se modifiait souvent, comme si elle appartenait à des personnages divers. Toutes les phrases qu’elle prononça se sont gravées dans ma mémoire.

« Ces singes, tous ces singes, disait la voix avec une nuance d’inquiétude, depuis quelque temps, ils se multiplient sans cesse, alors que leur espèce semblait devoir s’éteindre à une certaine époque. Si cela continue, ils deviendront presque aussi nombreux que nous… Et il n’y a pas que cela. Ils deviennent arrogants. Ils soutiennent notre regard. Nous avons eu tort de les apprivoiser et de laisser une certaine liberté à ceux que nous utilisons comme domestiques. Ce sont ceux-là les plus insolents. L’autre jour, j’ai été bousculée dans la rue par un chimpanzé. Comme je levais la main, il m’a regardée d’un air si menaçant que je n’ai pas osé le battre.

« Anna, qui travaille au laboratoire, m’a dit que beaucoup de choses étaient changées, là aussi. Elle n’ose plus pénétrer seule dans les cages. Elle m’a affirmé que, le soir, on y entend comme des chuchotements et même des ricanements. Un des gorilles se moque du patron en imitant un de ses tics. »

La femme fit une pause, poussa plusieurs soupirs angoissés, puis reprit :

« Ça y est ! L’un d’eux a réussi à parler. C’est certain ; je l’ai lu dans le Journal de la Femme. Il y a sa photographie. C’est un chimpanzé.

— Un chimpanzé, le premier ! J’en étais sûr, s’écria Cornélius.

— Il y en a d’autres. Le journal en signale tous les jours de nouveaux. Certains savants considèrent cela comme un grand succès scientifique. Ils ne voient donc pas où cela peut nous mener ? Il paraît qu’un de ces chimpanzés a proféré des injures grossières. Le premier usage qu’ils font de la parole, c’est pour protester quand on veut les faire obéir. »

La femme observa encore un silence et reprit d’une voix différente, une voix d’homme assez doctorale.

« Ce qui nous arrive était prévisible. Une paresse cérébrale s’est emparée de nous. Plus de livres ; les romans policiers sont même devenus une fatigue intellectuelle trop grande. Plus de jeux ; des réussites, à la rigueur. Même le cinéma enfantin ne nous tente plus. Pendant ce temps, les singes méditent en silence. Leur cerveau se développe dans la réflexion solitaire… et ils parlent. Oh ! peu, presque pas à nous, sauf pour quelque refus méprisant aux plus téméraires des hommes qui osent encore leur donner des ordres. Mais la nuit, quand nous ne sommes pas là, ils échangent des impressions et s’instruisent mutuellement. »

Après un autre silence, une voix de femme reprit, angoissée.

« J’avais trop peur. Je ne pouvais plus vivre ainsi. J’ai préféré céder la place à mon gorille. Je me suis enfuie de ma propre maison.

« Il était chez moi depuis des années et me servait fidèlement. Peu à peu, il a changé. Il s’est mis à sortir le soir, à assister à des réunions. Il a appris à parler. Il a refusé tout travail. Il y a un mois, il m’a ordonné de faire la cuisine et la vaisselle. Il a commencé à manger dans mes assiettes, avec mes couverts. La semaine dernière, il m’a chassée de ma chambre. J’ai dû coucher sur un fauteuil, dans le salon. N’osant plus le gronder ni le punir, j’ai essayé de le prendre par la douceur. Il s’est moqué de moi et ses exigences ont augmenté. J’étais trop malheureuse. J’ai abdiqué.

« Je me suis réfugiée dans un camp, avec d’autres femmes qui sont dans le même cas que moi. Il y a des hommes, aussi ; beaucoup n’ont pas plus de courage que nous. Notre vie est misérable, hors de la ville. Nous sommes honteux, ne parlant presque pas. Les premiers jours, je faisais des réussites. Je n’en ai plus la force. »

La femme s’interrompit encore et une voix mâle prit la relève.

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