Le cardinal répliqua qu’il ne savait pas mentir, et qu’il en appelait au témoignage de madame de La Motte.
Celle-ci nia qu’il y eût jamais eu de promenades faites de son aveu ou à sa connaissance.
Elle déclara menteurs les procès-verbaux et relations qui la dénonçaient comme ayant paru aux jardins, soit en compagnie de la reine, soit en la compagnie du cardinal.
Cette déclaration innocentait Marie-Antoinette, s’il eût été possible de croire aux paroles d’une femme accusée de faux et de vol. Mais, venant de cette part, la justification semblait être un acte de complaisance, et la reine ne supporta pas d’être justifiée de la sorte.
Aussi, quand Jeanne cria le plus fort qu’elle n’avait jamais paru de nuit dans le jardin de Versailles, et que jamais elle n’avait rien vu ou su des affaires particulières à la reine et au cardinal, à ce moment Oliva parut, vivant témoignage qui fit changer l’opinion et détruisit tout l’échafaudage de mensonges entassés par la comtesse.
Comment ne fut-elle pas ensevelie sous les ruines? Comment se releva-t-elle plus haineuse et plus terrible? Nous n’expliquons pas seulement ce phénomène par sa volonté, nous l’expliquons par la fatale influence qui s’attachait à la reine.
Oliva confrontée avec le cardinal, quel coup terrible! Monsieur de Rohan s’apercevant enfin qu’il avait été joué d’une manière infâme! Cet homme plein de délicatesses et de nobles passions, découvrant qu’une aventurière, associée à une friponne, l’avaient conduit à mépriser tout haut la reine de France, une femme qu’il aimait et qui n’était pas coupable!
L’effet de cette apparition sur monsieur de Rohan serait, à notre gré, la scène la plus dramatique et la plus importante de cette affaire, si nous n’allions, en nous rapprochant de l’histoire, tomber dans la fange, le sang et l’horreur.
Quand monsieur de Rohan vit Oliva, cette reine de carrefour, et qu’il se rappela la rose, la main serrée et les bains d’Apollon, il pâlit, et eût répandu tout son sang aux pieds de Marie-Antoinette, s’il l’eût vue à côté de l’autre en ce moment.
Que de pardons, que de remords s’élancèrent de son âme pour aller avec ses larmes purifier le dernier degré de ce trône où un jour il avait répandu son mépris avec le regret d’un amour dédaigné.
Mais cette consolation même lui était interdite; mais il ne pouvait accepter l’identité d’Oliva sans avouer qu’il aimait la véritable reine; mais l’aveu de son erreur était une accusation, une souillure. Il laissa Jeanne nier tout. Il se tut.
Et lorsque monsieur de Breteuil voulut, avec monsieur de Crosne, forcer Jeanne à s’expliquer plus longuement:
– Le meilleur moyen, dit-elle, de prouver que la reine n’a pas été promener dans le parc la nuit, c’est de montrer une femme qui ressemble à la reine, et qui prétend avoir été dans le parc. On la montre; c’est bien.
Cette infâme insinuation eut du succès. Elle infirmait encore une fois la vérité.
Mais comme Oliva, dans son inquiétude ingénue, donnait tous les détails et toutes les preuves, comme elle n’omettait rien, comme elle se faisait bien mieux croire que la comtesse, Jeanne eut recours à un moyen désespéré; elle avoua.
Elle avoua qu’elle avait mené le cardinal à Versailles; que Son Excellence voulait à tout prix voir la reine, lui donner l’assurance de son respectueux attachement; elle avoua, parce qu’elle sentit derrière elle tout un parti qu’elle n’avait pas si elle se renfermait dans la négative; elle avoua, parce qu’en accusant la reine, c’était se donner pour auxiliaires tous les ennemis de la reine, et ils étaient nombreux.
Alors, pour la dixième fois dans cet infernal procès, les rôles changèrent: le cardinal joua celui d’une dupe, Oliva celui d’une prostituée sans poésie et sans sens, Jeanne celui d’une intrigante; elle n’en pouvait choisir de meilleur.
Mais comme, pour faire réussir ce plan ignoble, il fallait que la reine jouât aussi un rôle, on lui donna le plus odieux, le plus abject, le plus compromettant pour la dignité royale, celui d’une coquette étourdie, d’une grisette qui trame des mystifications. Marie-Antoinette devint Dorimène conspirant avec Frosine contre monsieur Jourdain, cardinal.
Jeanne déclara que ces promenades étaient faites de l’aveu de Marie-Antoinette qui, cachée derrière une charmille, écoutait en riant à en mourir les discours passionnés de l’amoureux monsieur de Rohan.
Voilà ce que choisit pour son dernier retranchement cette voleuse qui ne savait plus où cacher son vol; ce fut le manteau royal fait de l’honneur de Marie-Thérèse et de Marie Leckzinska.
La reine succomba sous cette dernière accusation, car elle n’en pouvait prouver la fausseté. Elle ne le pouvait, parce que, poussée à bout, Jeanne déclara qu’elle publierait toutes les lettres d’amour écrites par monsieur de Rohan à la reine, et qu’en effet elle possédait ces lettres brûlantes d’une passion insensée.