– L’auriez-vous trouvé? demanda monsieur de Crosne, presque railleur.
– Non, dit gravement le comte. Mais si je n’ai pas trouvé le collier, au moins sais-je que madame de La Motte habitait rue Saint-Claude.
– En face de chez vous, monsieur, je le savais aussi, dit le magistrat.
– Alors, monsieur, vous savez ce que faisait madame de La Motte… N’en parlons plus.
– Mais au contraire, dit monsieur de Crosne d’un air indifférent, parlons-en.
– Oh! cela n’avait de sel qu’à propos de la petite Oliva, dit Cagliostro; mais puisque vous savez tout sur madame de La Motte, je n’aurais rien à vous apprendre.
Au nom d’Oliva, monsieur de Crosne tressaillit.
– Que dites-vous d’Oliva? demanda-t-il. Qui est-ce, Oliva?
– Vous ne le savez pas? Ah! monsieur, c’était une curiosité que je serais surpris de vous apprendre. Figurez-vous une fille très jolie, une taille… des yeux bleus, l’ovale du visage parfait; tenez, un genre de beauté qui rappelle un peu celui de Sa Majesté la reine.
– Ah! ah! fit monsieur de Crosne, eh bien?
– Eh bien! cette fille vivait mal, cela me faisait peine; elle avait autrefois servi un vieil ami à moi, monsieur de Taverney…
– Le baron qui est mort l’autre jour?
– Précisément, oui, celui qui est mort. Elle avait en outre appartenu à un savant homme que vous ne connaissez pas, monsieur le lieutenant de police, et qui… Mais je fais double route, et je m’aperçois que je commence à vous gêner.
– Monsieur, veuillez continuer, je vous en prie, au contraire. Cette Oliva, disiez-vous?…
– Vivait mal, comme j’ai eu l’honneur de vous le dire. Elle souffrait une quasi-misère, avec certain drôle, son amant pour la voler et la battre: un de vos plus ordinaires gibiers, monsieur, un aigrefin que vous ne devez pas connaître…
– Certain Beausire, peut-être? dit le magistrat, heureux de paraître bien informé.
– Ah! vous le connaissez, c’est surprenant, dit Cagliostro avec admiration. Très bien! monsieur, vous êtes encore plus devin que moi. Or, un jour que le Beausire avait plus battu et plus volé cette fille que de coutume, elle vint se réfugier près de moi et me demanda protection. Je suis bon, je donnai je ne sais quel coin de pavillon dans un de mes hôtels…
– Chez vous!… Elle était chez vous? s’écria le magistrat surpris.
– Sans doute, répliqua Cagliostro, affectant de s’étonner à son tour. Pourquoi ne l’aurais-je pas abritée chez moi, je suis garçon?
Et il se mit à rire avec une si savante bonhomie que monsieur de Crosne tomba complètement dans le panneau.
– Chez vous! répliqua-t-il; c’est donc pour cela que mes agents ont tant cherché pour la trouver.
– Comment, cherché! dit Cagliostro. On cherchait cette petite? A-t-elle donc fait quelque chose que je ne sache pas?…
– Non, monsieur, non; poursuivez, je vous en conjure.
– Oh! mon Dieu! j’ai fini. Je la logeai chez moi; voilà tout.
– Mais, non, non! monsieur le comte, ce n’est pas tout, puisque vous sembliez tout à l’heure associer à ce nom d’Oliva le nom de madame de La Motte.
– Ah! à cause du voisinage, dit Cagliostro.
– Il y autre chose, monsieur le comte… Vous n’avez pas pour rien dit que madame de La Motte et mademoiselle Oliva étaient voisines.
– Oh! mais cela tient à une circonstance qu’il serait inutile de vous rapporter. Ce n’est pas au premier magistrat du royaume qu’on doit aller conter des billevesées de rentier oisif.
– Vous m’intéressez, monsieur, et plus que vous ne croyez; car cette Oliva que vous dites avoir été logée chez vous, je l’ai trouvée en province.
– Vous l’avez trouvée!
– Avec le monsieur de Beausire…
– Eh bien, je m’en doutais! s’écria Cagliostro. Elle était avec Beausire? Ah! fort bien! fort bien! Réparation soit faite à madame de La Motte.
– Comment! que voulez-vous dire? repartit monsieur de Crosne.
– Je dis, monsieur, qu’après avoir un moment soupçonné madame de La Motte, je lui fais réparation pleine et entière.
– Soupçonné! de quoi?
– Bon Dieu! vous écoutez donc patiemment tous les commérages? Eh bien! sachez qu’au moment où j’avais espoir de corriger cette Oliva, de la rejeter dans le travail et l’honnêteté – je m’occupe de morale, monsieur –, à ce moment là, quelqu’un vint qui me l’enleva.
– Qui vous l’enleva! Chez vous?
– Chez moi.
– C’est étrange!
– N’est-ce pas? Et je me fusse damné pour soutenir que c’était madame de La Motte. À quoi tiennent les jugements du monde!
Monsieur de Crosne se rapprocha de Cagliostro.
– Voyons, dit-il, précisez s’il vous plaît.
– Oh! monsieur, à présent que vous avez trouvé Oliva avec Beausire, rien ne me fera penser à madame de La Motte, ni ses assiduités, ni ses signes, ni ses correspondances.
– Avec Oliva?
– Mais oui.
– Madame de La Motte et Oliva s’entendaient?
– Parfaitement.
– Elles se voyaient?
– Madame de La Motte avait trouvé moyen de faire sortir chaque nuit Oliva.
– Chaque nuit! En êtes-vous sûr?
– Autant qu’un homme peut l’être de ce qu’il a vu, entendu.
– Oh! monsieur, mais vous me dites là des choses que je paierais mille livres le mot! Quel bonheur pour moi que vous fassiez de l’or!
– Je n’en fais plus, monsieur, c’était trop cher.