— Je vois pas qu'à cause de toi on ait la guerre avec l'Alabanie, gars ? Ce serait le bouquet. Surtout maintenant qu'on a pris l'habitude de paumer toutes les guerres qu'on entreprend ! Tu vas me dire que l'Alabanie c'est pas très grand ; mais je te fais remarquer qu'au plus le pays avec lequel on se chicorne est petit, en plus vite on perd la guerre. J'ai idée qu'en quarante-huit heures ce sera réglé et que les troupes alabaniennes défileraient sous l'Arc de Triomphe. T'imagines ? L'occupation, les restrictions et tout ! Si encore on aurait notre force de frappe au point, je dis pas ; mais en fait de frappes on ne dispose guère que de celles qui draguent dans Pigalle ! Les Amerlocks seraient une fois de plus bonnards pour venir nous délivrer. La Fayette, ç'a été un drôle de placement, rappelle-toi-z'en !
Le Gros est lancé. Maintenant que le voilà à la tribune, il se croit obligé de jouer « M. Smith au Sénat ».
Et de poursuivre :
— Tu sais pourquoi, quand les Ricains viennent de nous sortir de l'auberge, on écrit « U S go home » sur les murs ?
— Pour qu'ils rentrent chez eux, parbleu.
— Naturlich, mais tu sais pourquoi on tient à ce qu'ils rentrent chez eux ?
— Dis voir ?
— C'est pour qu'ils se préparent à venir nous délivrer la fois prochaine. Non, crois-moi, moule tes idées de perquise à la sauvette. Fais-le pour la France, San-A, si tu veux pas le faire pour moi. Elle n'a pas besoin de ça en ce moment !
Mon silence lui donne à croire que sa plaidoirie a porté. Il se mouche avec un bruit de trompette, examine les résultats, les enveloppe, les empoche et déclare :
— Tout compte fait, je me demande si une choucroute serait pas préférable.
Je freine et range ma tire en bordure du trottoir.
— Pourquoi tu stoppes ? S'étonne le Boulimique en regardant autour de soi, il n'y a pas de restaurant à promiscuité !
Il avise alors la hampe du consulat d'Alabanie et se renfrogne.
— Tu feras comme tu veux, mais je sais que moi je ne plongerai pas mon pays dans les z'horreurs de la guerre.
— Aussi ne te demandé-je point de m'accompagner, Saucisse avariée, lancé-je, mais seulement de m'attendre.
Je biche une petite lampe électrique dans ma boîte à gants, je m'assure que mon sésame est dans ma poche et je laisse le Gros à sa délectation morose.
Le porche franchi sans encombre, je me garde bien d'actionner la minuterie. Je me farcis les étages rapidement jusqu'à ce que la large plaque de cuivre du consulat scintille sous mes yeux. La porte est respectable. C'est de l'huis costaud, à deux vantaux. Elle comporte autant de serrures que la soutane d'un curé a de boutons. M'est avis que je vais avoir du turbin pour délourder. Mais, vous le savez sans doute, les grandes tâche ne m'ont jamais rebuté. Je suis le genre d'homme susceptible de réparer la grande muraille de Chine ou de creuser avec une cuillère à thé un canal destiné à amener la Méditerranée sur son évier. Je commence par la serrure du haut. Ça n'est pas la plus coriace ; pourtant la cloison est en iridium pénalisé et la paillette de gorge en
Je passe à la seconde ; puis à la troisième. C'est la trente-sixième qui me fait les plus grosses objections. Il faut dire qu'elle est au pêne après avoir été à l'honneur ! Je mets quatre minutes vingt neuf à me faire admettre, et puis elle cède à mon charme et je pénètre enfin dans les locaux. Vous l'avez deviné, je n'ai qu'un but : me rendre au plus vite dans le fameux bureau dont la vitre n'a toujours pas été remplacée. J'ai le sens de l'orientation fort développé ; c'est un secret pour Perkings. Je traverse un hall meublé sommairement de banquettes et je gagne une porte à double battant qui me parait être celle du grand burlingue. Je la pousse, mais elle résiste et il me faut une fois encore faire appel à l'aimable outil qui m'escorte au cours de mes actions d'éclat.
Cette fois, c'est pour lui de la broutille une espèce de petite mise en train, comme disent les chefs de gare et les gars de la pédale. Je pénètre dans la pièce sans la moindre difficulté.
Tout de suite je crois m'être gouré… Le bureau qui s'y trouve, n'est pas ministre, mais anglais. Il s'agit d'un meuble d'acajou, très élégant. Je regarde sous le bureau et je constate qu'il ne manque pas de moquette. Bref, je ne suis pas dans la bonne pièce. Un regard à la fenêtre, et je renaude : il manque la vitre. Je reviens au bureau et je m'accroupis. La moquette à cet endroit est toute neuve. Elle a été raccordée. Elle possède un moelleux significatif.