On se commande une jaffe pantagruélique. Béru prend des prépuces de crabe frits à l'ail comme entrée, de la tête d'âne gris aux haricots rouges, comme plat de résistance ; et une soupe gratinée avec du sucre en poudre pour dessert.
— Excuse-moi un moment, Bibendum, lui dis-je ; je vais me laver les pognes.
— Moi zaussi faut que j'aille pisser ! décide-t-il.
Nous gagnons les toilettes. Béru pénètre dans les toilettes messieurs, vu que sa maman lui a fourni tous les accessoires l'autorisant à y pénétrer. Je l'attends en discutant le bout de gras avec la vestiareuse. Elle me reconnaît et parait gênée. C'est un petit être obscur. On se demande comment ça vit, ces trucs-là. Je la fixe intensément, et, plus je la regarde, plus elle se trouble. Plus elle se trouble, plus moi je la regarde, si bien que c'est à se demander si l'un de nous deux va pas faire explosion, comme ce pauvre caméléon qui s'était installé sur un kilt.
J'attaque enfin.
— Ça n'a pas l'air de carburer, douce amie…
— Mais, pourquoi, je…
— Si, si. Et si vous voulez le fond de ma pensée, vous avez la conscience en berne.
Son regard devient humide.
Je revois la scène de l'avant-veille (qui tombait le lendemain du jour d'avant par un hasard extraordinaire).
Tandis que j'enfilais mon imper, la gosse Yapaksa se rendait aux toilettes. A ce moment-là, la dame du vestiaire lui a dit quelque chose… Ç'a été si rapide que je n'y ai pas pris garde.
— Qu'avez-vous dit à la jeune fille ?
J'ai parlé sourdement, en fait c'est presque à moi que j'ai posé la question. Elle pâlit.
— Mais…
— Ne cherchez pas à me pigeonner, sinon vous la sentirez passer….
— Je vous avais reconnu, dit-elle…
— Comment cela, reconnu ?
— J'ai été serveuse au café qui se trouve en face de vos locaux.
— Et alors ?
— J'ai cru que vous filiez la jeune fille. Elle venait quelquefois, nous bavardions elle m'était sympathique.
— Continuez…
— Je lui ai dit de prendre garde.
Je respire profondément pour stabiliser mes soufflets oppressés.
— Quelles ont été vos paroles exactes ?
— Je m'excuse, mais…
— Répétez-les, tonnerre de Dieu !
Elle bredouille :
— Je lui ai dit « Faites attention à ce type-là, ça n'est pas du tout qui vous croyez ». Je suis navrée… Franchement, je pensais qu’elle avait fait quelque chose de répréhensible et que vous…
— Vous l'avez tuée, murmuré-je.
— Comment !
— Vous ne pouvez pas comprendre. Elle était cardiaque…
— Mais…
— Et elle savait qui j'étais. En lui affirmant que je n'étais pas cela, elle a cru que j'appartenais à la bande…
Je me tais. Pas besoin de donner d'explications à cette vieille toile d'araignée moisie. Yapaksa avait déjà eu une terrible émotion au début de l'après-midi. Lorsque cette chaussette hors d'usage lui a dit que je n'étais pas qui elle croyait, elle a cru que… Bon voilà que je me répète, excusez-moi c'est l'émotion. Notez qu'avec un palpitant en sucre elle ne devait pas battre le record du monde détenu par Mathusalem, Yapaksa. Mais tout de même !
Un glorieux bruit de chasse d'eau ! La porte des zinzins s'ouvre. Béru surgit, détendu, sûr de lui, satisfait, conquérant.
— C'est pas que ça enrichisse, dit-il, mais ça soulage !
Tout en mastiquant, le Bonhomme me demande.
— Au fait tu as des explications sur la manière dont auquel ces sagouins s'y sont pris pour buter le consul ?
— Je les ai.
— Alors passe-moi z'en la moitié, c'est pour faire un cataplasme à ma curiosité.
— Certains des membres du consulat faisaient partie d'un groupement extrémiste chargé de fomenter des troubles en Europe. Leurs vues : la guerre, le chaos !
— Ah les tances ! Alors qu'il fait si bon vivre ! meugle l'Obèse en s'étouffant avec une oreille de sa tête d'âne gris aux haricots rouges.
— Ils ont préparé leur coup savamment, de façon à faire accroire à la femme du consul et aux membres réguliers du consulat qu'il s'agissait d'un attentat extérieur. Le tueur qui a essayé de buter la môme Danlhavvi s'était introduit chez Morpion à cause de la situation géographique de son appartement qu'il savait vide…
— Et alors ?
— Il a attaché un ruban à la croisée pour indiquer à Wadonk Hétaurdu qu'il était à son poste…
— Et puis ?
— Il y avait réunion dans le burlingue du consul : Madame, le consul son époux, Wadonk et deux autres membres du personnel…
— Et puis ?
— Le tueur à bousillé le consul devant tous ces témoins. Sur-le-champ, Hétaurdu a pris l'initiative des opérations. Il a persuadé les autres qu'il ne fallait pas prévenir la police avant d'en avoir référé à la capitale alabanienne. L'événement était trop grave. Tous ont marché devant le critique de la situation. Ça a permis à Hétaurdu,de prendre tout le monde en main et de s'installer au poste. Il a alors mis ses hommes aux leviers de commande, puis quand il a été maître absolu de la situation il a séquestré Mme la consule. Il en avait besoin pour la soirée d'hier. Elle devait le patronner, comprends-tu ?
— Pas étonnant, puisque c'était sa patronne ! objecte Béru.