Agatha CHRISTIE
(15.09.1890 - 12.01.1976)
Le Crime de l'Orient-Express
Traduction : Louis Positif
Parce qu'une intrigue policiиre est un bon dйrivatif et que ses contemporains, pris comme elle dans les remous de la guerre de 1914-1918, ont besoin de se changer les idйes, une jeune Anglaises (а demi amйricaine par son pиre) s'amuse а йcrire un roman policier en dehors de son service d'infirmiиre volontaire. Elle s'appelle Agatha Miller et vient d'йpouser Archibald Christie. Elle est nйe en 1890 а Torquay, dans le Devon, oщ elle a reзu а domicile une йducation soignйe, et elle йcrit depuis longtemps poиmes, contes ou nouvelles.
Son premier roman,
Divorcйe en 1928, Agatha Christie s'est remariйe en 1930 avec l'archйologue Max Mallowan qu'elle accompagne en Syrie et en Irak dans ses campagnes de fouilles, comme elle le dit dans son autobiographie : Come, tell me how you live (Dites-moi comme vous vivez, 1946).
Sous le nom de Mary Westmacott, elle a publiй plusieurs romans, dont
Agatha Christie est morte dans sa rйsidence de Wallingford, prиs d'Oxford (Angleterre), en janvier 1976. Elle est un des auteurs les plus lus dans le monde.
Les Faits
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A cinq heures du matin, en gare d'Alep, stationnait le train dйsignй sous le nom pompeux de « Taurus-Express ». Il comprenait un wagon-restaurant, un sleeping-car et deux autres voitures.
Devant le marchepied du sleeping-car, un jeune lieutenant franзais, en uniforme йlйgant, couvert d'un йpais manteau, conversait avec un petit homme emmitouflй jusqu'aux oreilles et dont on n'apercevait que le bout du nez rouge et deux forte moustaches relevйes en croc.
Par ce froid glacial, accompagner au train un йtranger d'importance n'offrait rien d'enviable, mais le lieutenant Dubosc s'acquittait de cette corvйe avec une bonne grвce parfaite et prodiguait au voyageur des amabilitйs en un langage des plus chвtiйs. Le jeune officier ne savait pas au juste de quoi il s'agissait. De vagues rumeurs avaient circulй dans la garnison. Le gйnйral - son gйnйral -s'йtait montrй pendant quelques jours d'humeur massacrante, jusqu'а l'arrivйe de ce Belge qui, paraоt-il, avait fait tout exprиs pour cette occasion - quelle occasion !... - le voyage d'Angleterre en Syrie. Aprиs une semaine йcoulйe dans une atmosphиre des plus tendues, les йvйnements s'йtaient prйcipitйs : un officier avait dйmissionnй, un personnage occupant des fonctions civiles avait йtй rappelй par son gouvernement. Puis les visages anxieux s'йtaient rassйrйnйs et certains rиglements rigoureux s'йtaient peu а peu relвchйs ; enfin, le gйnйral - le gйnйral du lieutenant Dubosc - avait retrouvй sa bonne humeur.
Dubosc avait surpris quelques bribes de conversation entre son chef et l'йtranger.
Mon cher, disait le vieux gйnйral d'une voix йmue, vous avez йclairci une affaire pйnible et йvitй de graves complications ! Comment vous remercier de votre empressement а rйpondre а mon appel ?
A quoi l'йtranger (M. Hercule Poirot, pour l'appeler par son nom) avait fait une rйponse adйquate oщ entrait cette phrase :
Je ne saurais oublier, mon gйnйral, qu'un jour vous m'avez sauvй la vie.
Le gйnйral, ne voulant pas кtre en reste de cordialitй avec son interlocuteur, avait dйsavouй le mйrite de ce lointain service. Aprиs de nouvelles phrases imprйcises oщ revenaient а tour de rфle les mots « France, Belgique, gloire, honneur » et autres vocables de la mкme famille, ils s'йtaient donnй l'accolade et s'йtaient sйparйs.
En ce qui concernait le fond mкme de l'histoire, le lieutenant Dubosc demeurait dans une ignorance complиte. La mission lui йtait йchue d'accompagner M. Poirot au train et il s'en acquittait avec tout le zиle et le tact d'un jeune officier digne de la brillante carriиre qui s'ouvrait devant lui.
C'est aujourd'hui dimanche, dit le lieutenant Dubosc. Demais soir, lundi, vous arriverez а Stamboul.