L'aprиs-midi, а deux heures et demie, le train s'arrкta. Des tкtes parurent aux portiиres. Un petit groupe d'homme assemblйs le long de la ligne regardaient et se montraient des flammes sous le wagon-restaurant.
Poirot, penchй а la portiиre, questionna le conducteur du wagon-lit qui accourait. L'homme lui ayant rйpondu, il retira sa tкte et, en se retournant il entra en collision avec Mary Debenham debout derriиre lui.
Que se passe-t-il ? demanda-t-elle. Pourquoi cet arrкt ?
Ce n'est rien, mademoiselle. Simplement quelque chose qui a pris feu sous le wagon-restaurant. Rien de grave. C'est dйjа йteint et on procиde а une lйgиre rйparation. Il n'y a aucun danger.
Elle fit un petit geste brusque comme pour chasser l'idйe de danger, sans importance а ses yeux.
Oui, je comprends, mais le temps !
Le temps ?
Cet accident va nous occasionner du retard ?
C'est possible, mademoiselle.
Mais nous ne pouvons nous permettre ce luxe ! Ce train doit arriver а 6h55, et nous devons traverser le Bosphore pour attraper le Simplon-Orient-Express sur l'autre rive а 9 heures. S'il y a trop de retard, nous manquerons la correspondance.
C'est possible, mademoiselle, rйpйta Poirot.
Il s'aperзut que les lиvres de la jeune fille, ainsi que sa main appuyйe sur la barre de la fenкtre, tremblaient un peu.
Est-ce donc si important, mademoiselle ? lui demanda-t-il.
Oui. Il faut absolument que j'attrape ce train.
Elle quitta Poirot pour rejoindre Arbuthnot а quelques pas plus loin dans le corridor.
Elle s'йtait inquiйtйe sans raison. Dix minutes plus tard, le train reprenait sa marche. A haydar-pasa, il n'avait dйjа plus que cinq minutes de retard.
Le Bosphore йtait houleux et M. Poirot goыta fort peu la traversйe. Sur le bateau, il fut sйparй de ses compagnons de voyage.
Arrivйe au pont de Galata, il se fit conduire а l'hфtel Tokatlian.
A l'hфtel Tokatlian, Hercule Poirot demanda une chambre avec salle de bains. Ensuite, au bureau du concierge, il s'informa s'il йtait arrivй de la correspondance а son nom.
Trois lettres йtaient venues pour lui, ainsi qu'un cвble. A la vue de cette dйpкche qu'il n'attendait pas, il leva les sourcils.
Il l'ouvrit sans se presser, comme а l'ordinaire, et lut :
Affaire Kassner progresse suivant vos prйvisions.
Priиre revenir immйdiatement.
Voilа qui est assommant ! murmura Poirot en jetant un coup d'њil sur la pendule.
Je dois m'en aller dиs ce soir, dit-il au concierge. A quelle heure part le Simplon- Orient-Express ?
A neuf heures, monsieur.
Pouvez-vous me retenir une place de wagon-lit ?
Certainement, monsieur. Rien de plus facile а cette йpoque de l'annйe. Les trains roulent а moitiй vides. En premiиre ou en seconde ?
En premiиre.
Trиs bien, monsieur. Pour quel endroit ?
Pour Londres.
Bien, monsieur. Je vais vous prendre un billet pour Londres et vous retenir un sleeping dans la voiture Stamboul-Calais.
De nouveau, Poirot consulta la pendule.
Huit heures moins dix. Ai-je le temps de dоner ?
Mais oui, monsieur.
Le petit Belge traversa le vestibule pour se rendre au restaurant.
Comme il commandait son repas au garзon, il sentit une main se poser sur son йpaule.
Ah ! mon vieux ! Quelle heureuse rencontre ! disait une voix derriиre lui.
Poirot se retourna et vit un homme trapu, d'вge moyen, qui lui souriait gaiment.
Tiens ! Monsieur Bouc !
Monsieur Poirot !
Belge lui aussi, M. Bouc йtait un des directeurs de la Compagnie Internationale des Wagons-Lits et ses relations avec l'as de la police belge remontaient а plusieurs annйes.
Vous voyagez loin du pays, mon cher ami ?
Peuh... une petite affaire en Syrie.
Ah ! Et quand repartez-vous ?
Ce soir mкme !
A la bonne heure ! Moi aussi je pars ce soir !... Je vais jusqu'а Lausanne. Vous prenez sans doute le Simplon-Orient-Express ?
Oui. Je viens de faire retenir ma couchette. Je pensais demeurer ici quelques jours, mais je reзois а l'instant un cвble me rappelant а Londres de toute urgence.
Ah ! soupira M. Bouc. Les affaires. les affaires. Vous voilа au sommet de la gloire, а prйsent !
Ma foi, j'ai remportй quelques petits succиs, prononзa Hercule Poirot, essayant vainement de paraоtre modeste.
Bouc esquissa un sourire.
Nous nous retrouverons tout а l'heure, lui dit-il.
Hercule Poirot mit toute son application а ne point mouiller ses moustaches dans le potage.
Ayant rйussi ce tour de force, il promena son regard autour de lui en attendant le service suivant. Il n'y avait qu'une demi-douzaine de personnes dan la salle, et parmi elles deux hommes seulement йveillиrent l'attention d'Hercule Poirot.
Ces deux hommes йtaient assis а une table voisine de la sienne. Le plus jeune, de toute йvidence un Amйricain, йtait un charmant garзon d'une trentaine d'annйes. Ce n'йtait pas lui, mais plutфt son compagnon qui suscitait l'intйrкt du petit dйtective.