« Je ne vois pas exactement ce qui arriva quand les conspirateurs dйcouvrirent que l'arrкt du train rendait impraticable cette deuxiиme partie de leur programme. Je suppose qu'ils tinrent rapidement conseil, et dйcidиrent d'agir а tout prix. Cette fois les soupзons pиseraient immanquablement sur un ou plusieurs d'entre eux, mais cette йventualitй йtait dйjа prйvue et on y avait remйdiй. Il restait а dйrouter davantage encore les enquкteurs. Dans ce dessein deux simulacres de « piиces а conviction » sont abandonnйs sur le lieu du crime. l'un incriminant le colonel Arbuthnot qui possйdait un alibi irrйcusable et dont les relations avec la famille Armstrong йtaient difficiles а йtablir. L'autre, le mouchoir, accusant la princesse Dragomiroff : йtant donnй son rang social, sa faiblesse physique et son tйmoignage soutenu а la fois par sa femme de chambre et le conducteur, on la considиre comme hors de cause. Comme pour compliquer а plaisir la comйdie, une femme en peignoir rouge passe sur la scиne, et afin que je connaisse l'existence de cette femme, on frappe а ma porte. Je me lиve pour jeter un coup d'њil au-dehors, je vois le peignoir disparaоtre au fond du couloir. Trois autres tйmoins, judicieusement choisis, l'ont vu йgalement : le conducteru, Miss Debenham et MacQueen. Le plaisantin qui a eu l'idйe de fourrer ce peignoir dans ma valise, pendant que je poursuivais l'interrogatoire, me paraоt douй d'un rйel sens de l'humour. J'ignore d'oщ vient ce vкtement, mais je soupзonne qu'il appartient а la comtesse Andrenyi : ses bagages ne renfermaient, en effet, qu'un йlйgant dйshabillй de lingerie tout garni de dentelles et qui ne pouvait guиre remplacer le peignoir.
« Ayant appris que la lettre soigneusement brыlйe avait en partie йchappй а une destruction complиte et que le mot Armstrong avait pu кtre lu, MacQueen s'empressa de communiquer aux autres ce renseignement. Dйsormais, la comtesse Andrenyi se tient sur ses gardes et c'est а ce moment que le comte songe а maquiller son passeport.
« L'un aprиs l'autre, tous les voyageurs nient avoir connu la famille Armstrong. Sachant que je ne possиde aucun moyen d'investigation immйdiat, ils se figurent que je ne suivrai cette piste que si l'un d'eux йveille mes soupзons.
« Aucun point а йclaircir : si mon hypothиse est juste - et je crois ne pas me tromper -,le conducteur du wagon-lit entre dans le complot. Mais, en ce cas, cela nous donne treize inculpйs au lieu de douze. Contrairement а la formule habituelle : « Parmi cette foule, il s'agit de dйcouvrir le coupable », je me trouve placй devant un groupe de treize personnes dont une, une seule, est innocente.
« J'arrive а cette conclusion pour le moins bizarre : la personne qui n'a point participй au crime est prйcisйment celle qui paraоt la plus suspecte, а savoir la comtesse Andrenyi. Lorsque le comte jura sur l'honneur que sa femme n'avait pas quittй son compartiment de toute la nuit, il le fit avec un tel accent de franchise que je ne pus douter de sa parole. Je compris alors que le comte avait, pour ainsi dire, pris la place de sa femme.
« Pierre Michel йtait donc complice. Pour quelle raison cet honnкte employй, depuis tant d'annйes au service de la Compagnie, trempait-il dans ce crime ? Il me semblait impossible de dйcouvrir un lien quelconque entre ce Franзais et la famille Armstrong. Tout а coup je me souvins que la bonne d'enfants йtait une Franзaise. Et si c'йtait la propre fille de Pierre Michel ? Tout s'expliquerait. mкme l'endroit choisi pour commettre le crime
« Y a-t-il d'autres personnes dont les relations avec la famille Armstrong demeurent incertaines ? J'inscris le colonel Arbuthnot comme un ami du colonel Arbuthnot. probablement ont-ils fait la guerre ensemble.
« Quant а la femme de chambre Hildegarde Schmidt, je devinai sa situation chez les Armstrong. Peut-кtre suis-je un peu gourmand, mais je flairai en elle une bonne cuisiniиre. Je lui ai tendu un piиge et elle s'y est laissй prendre. « Je sais que vous кtes un excellent cordon-bleu », dis-je. Elle me rйpondit : « C'est vrai, mes patronnes m'ont toujours fait ce compliment ». A part moi, je songeai qu'en tant que femme de chambre, elle n'avait guиre l'occasion de dйployer ses talents culinaires.
« Ensuite vient Hardman. Selon toute apparence, il se classe tout а fait en dehors de la maison des Armstrong, et je l'imaginai dans la situation du fiancй de la jeune Franзaise. Je fis devant lui allusion au charme des йtrangиres et aussitфt j'obtins la rйaction dйsirйe. Ses yeux s'embuent de larmes, il prйtexte que la blancheur de la neige l'йblouit.