Tous dévalèrent l'échelle de coupée et s'entassèrent dans le hors-bord qui démarra immédiatement en direction de la plage. Quand il en fut à une centaine de mètres, le pilote stoppa les moteurs. L'embarcation se balança doucement. On apercevait nettement les silhouettes des nudistes. C'était bizarre de les voir marcher ou bavarder comme si de rien n'était, le sexe au vent.
« C'est quand même scandaleux! dit Nancy, rivée au spectacle à s'en faire mal aux yeux.
— C'est vrai. Ils exagèrent… », ajouta son mari dont le puritanisme héréditaire ne l'empêchait pas de fureter du regard dans tous les sens, passant d'un ventre à des seins, d'une paire de fesses à des hanches.
« Vous êtes vraiment choqués?… demanda Nut avec innocence.
— Lindy, voyons!… Vous trouvez ça beau?… protesta Nancy Pickman…
— Ce n'est pas le nu qui est moche. Ce sont les gens.
— Tout de même… Tout de même… Cet exhibitionnisme… »
Un grand type bronzé se détacha d'un groupe et cria quelque chose qu'ils ne comprirent pas.
« Qu'est-ce qu'il dit?
— Je ne sais pas. »
Pour être sûr d'être compris, le type fit un grand geste : tenant son bras droit tendu dans leur direction, à l'horizontale, il le cassa en quelque sorte par un coup violent de la main gauche, appliqué à hauteur de la saignée du coude. Socrate leva un sourcil :
« Il nous fait un bras d'honneur.
— Qu'est-ce que ça veut dire?… s'étonna Nancy qui faisait semblant de ne pas le savoir…
— Disons que ce jeune homme manque de galanterie… dit Socrate en souriant.
— Allons-nous-en… dit Nut. Après tout, on les regarde comme des bêtes curieuses.
— Ils n'ont qu'à pas s'exposer! », répliqua Nancy tout en continuant à lorgner.
Un des marins consultait S.S. du regard pour savoir s'il devait lancer le moteur. Sur la plage, un petit groupe s'était formé, criant des insultes en direction du canot. On entendit :
« Voyeurs!…
— Dégueulasses!… »
Quelques garçons avancèrent dans l'eau jusqu'aux cuisses…
« Tu mouilles, hein, salope!…
— Prétentieux… laissa tomber Nut avec dédain.
— Qu'est-ce qu'ils disent? », demanda Stany.
Avec volupté, Nut le lui répéta mot pour mot en anglais. L'acteur l'agaçait, sa femme aussi. Nut, dont la mère était française, était parfaitement bilingue. En fait, elle parlait mieux le français que l'anglais : quand on évoquait son charme, on s'apercevait à la réflexion que son accent français y contribuait sans doute pour beaucoup.
« Venez nous voir de plus près, connards!
— Vous n'osez pas, hein, dégonflés?… »
Le Grec se durcit imperceptiblement.
« J'ai horreur qu'on me traite de dégonflé! »
Nancy les harcelait :
« Qu'est-ce qu'ils disent?… Qu'est-ce qu'ils disent?
— Ils nous invitent à aller les voir de plus près… murmura Socrate distraitement. Eh bien, allons-y!… Va sur la plage!… »
A vitesse réduite, ils s'en approchèrent. Les types dans l'eau avaient un visage mi-ironique, mi-menaçant.
« Qui m'a traité de dégonflé?… interrogea le Grec en jetant un regard circulaire.
— C'est moi, dit tranquillement un petit rouquin gras à l'œil bleu plein de malice. Il faut être vraiment une pédale ou un vicelard pour venir mater les gens chez eux!
— La plage est à tout le monde, non?
— Ici, on est chez nous… », répondit un autre en défiant Satrapoulos du regard.
Les événements prenaient une tournure inquiétante. Sous la lisse, un matelot avait saisi une rame, à tout hasard.
« Puisque vous êtes si curieux, reprit le rouquin, descendez de là et venez faire un tour à terre!
— D'accord… », dit le Grec.
Il se laissa glisser dans l'eau tiède…
« Qui vient avec moi? demanda-t-il.
— J'y vais… dit Pickman qui ne voulait pas perdre la face.
— Moi aussi… fit Nut.
— N'y allez pas, voyons… chevrota Nancy, effrayée.
— Ils ne vont pas nous bouffer, non?… », lança Stany, essayant de se rassurer en prenant l'expression qui lui avait valu tant de triomphes à l'écran, quand il jouait le vengeur tranquille entrant dans le saloon bourré de tueurs.
Sous escorte, ils marchèrent sur la plage, sans trop oser regarder ces corps offerts au soleil et immobiles, faisant très attention à ne pas laisser glisser leurs yeux là où ils étaient pourtant invinciblement attirés.
« Vous avez bonne mine, dans vos fringues!… », commenta le rouquin gras.
Nut riposta :
« Et vous, vous auriez bonne mine si vous vous baladiez à poil au milieu de gens habillés?
— Nous?… Ah! ça alors!… Qu'est-ce qu'on s'en fout!… »
Socrate vint à la rescousse :
« Chiche!… Si vous n'êtes pas des dégonflés, venez donc sur le bateau, je vous invite à prendre un verre. »
Il préférait mille fois les voir nus sur son bateau plutôt qu'être contraint par eux de se déshabiller lui-même.
« On y va, les gars?… »
En un instant, quatre garçons et trois filles, dont deux très jolies et une pas mal, les entourèrent.
« D'accord… », dit Socrate.