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Irène devait se retrouver marquée pour la vie par cette ambivalence psychique, prenant radicalement le contre-pied de ses désirs, ne les dévoilant jamais, étouffant de les garder secrets, cultivant une exaltation dangereuse à ce point de bascule crucial où s'affrontent pulsion et culture dans le champ clos du cœur; la guerre ne finissait jamais, entretenue par ses soins avec une ténacité d'autant plus perverse que le combat était sans raison, gratuit. Exemple de ce phénomène culpabilité-autopunition, il lui arrivait de se gaver d'un mets dont la seule vue lui soulevait l'estomac — les concombres entre autres — pour se châtier d'avoir eu envie de poisson grillé, qu'elle adorait, qui était là, devant elle, sur la table, et qu'elle refusait de manger. Quand une personne lui déplaisait, ce qui était fréquent, elle lui prodiguait mille attentions, feignant systématiquement d'apprécier ce qu'elle haïssait et, inversement, de mépriser ce qui l'attirait.

A cet épuisant régime, elle eut la satisfaction de faire sa première dépression nerveuse à seize ans, se réfugiant avec volupté dans cet état morbide, qui avait l'avantage inouï de lui redonner le premier rôle, celui que ses sœurs, tour à tour, lui avaient volé. C'était délicieux de voir défiler la famille à son chevet, inquiète, prévenante, et de la sentir à la merci de son humeur, quand elle souriait faiblement, pour mieux montrer le courage avec lequel elle acceptait son mal : désormais, elle connaissait le moyen infaillible de ramener à elle les sympathies défaillantes, les affections égarées. Elle n'allait jamais l'oublier : chaque fois qu'elle était en manque d'amour, elle se précipitait dans cette délicieuse forteresse, la maladie, d'où tentaient distraitement de la sortir des médecins opiniâtres et bornés, la bourrant, selon sa mine, de calmants, de fortifiants ou d'excitants.

Trois jours avant l'anniversaire de ses quatorze ans, Ulysse Mikolofides mourut d'un infarctus. Irène assista à l'arrivée du corps de son père qu'on avait ramené dans une ambulance après avoir vainement tenté de lui prodiguer des soins à l'hôpital. L'armateur était mort à son bureau, « frappé en plein travail », comme le précisait la version officielle — démentie par quelques mauvaises langues prétendant qu'il avait succombé à une absorption massive d'aphrodisiaques destinés à maintenir dans l'illusion une secrétaire particulière de dix-neuf ans. Alors qu'on s'interrogeait sur le sort des immenses richesses qu'il avait amassées, Médée réagit d'une façon foudroyante : se sentant investie d'une mission, elle réunit plusieurs conseils d'administration et annonça qu'elle continuait l'œuvre de son mari. Elle eut tôt fait de faire disparaître les quelques sourires polis égarés sur des visages sceptiques. Quelques licenciements et une autorité pleine de morgue vinrent à bout des collaborateurs récalcitrants. Les concurrents eux-mêmes s'aperçurent très vite qu'ils ne gagnaient pas au change. Médée, qui avait toujours vécu dans l'ombre de son mari, s'affirmait comme une femme d'affaires hors pair, capable de prendre des décisions instantanées, soutenue par un flair redoutable. Trois ans lui suffirent pour doubler le capital pourtant fabuleux légué par Ulysse. Pendant ce temps, les trois filles de la « Veuve », comme on l'avait surnommée, poursuivaient leurs études avec des fortunes diverses.

A vingt ans, Irène n'avait toujours pas reçu une demande en mariage digne d'être prise en considération. Craignant de rester vieille fille, elle se découvrit une passion furieuse pour le célibat alors que Lena, quatorze ans à peine, faisait déjà jaser : on chuchotait qu'elle avait ravagé le cœur d'un homme mûr, celui du célèbre Satrapoulos. Quant à Melina, seize ans, elle affolait les garçons du voisinage qui n'hésitaient pas, malgré les chiens, à franchir le mur de la propriété, pour apercevoir vaguement sa silhouette, entre les cyprès.

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