« Ce n'est pas aux femmes que je fais allusion, mais à la femme. Je m'explique. A Londres, des journalistes sont venus me voir. Ils souhaitaient publier un reportage sur la seule femme qui soit vraiment digne de respect : une mère. Or, Satrapoulos laisse la sienne mourir de faim. Il ne l'a pas vue depuis trente ans, refusant de lui verser la plus petite obole. Si la nouvelle se répand, si le scandale éclate, il y aura, même dans les milieux financiers, des braves gens qui s'en indigneront. Les journaux du monde entier reprendront la nouvelle. Satrapoulos n'a pas que des amis (là, il allait peut-être un peu trop loin?). Ses coups de bluff déplaisent à beaucoup de gens sur la planète. Il suffit d'un rien pour qu'une campagne se déclenche contre lui. Si elle a lieu, il sera discrédité. Et avec lui, ses proches.
— Vous dites que ce reportage est déjà fait, ou qu'on a l'intention de le faire?
— Il est déjà fait : j'ai vu les photos de cette malheureuse créature.
— Pourriez-vous me les faire tenir?
— Il faudrait que je retrouve ceux qui me les ont apportées.
— Pour un homme ayant votre abattage, ce doit être un jeu. Montrez-les-moi simplement. Ensuite, nous aurons une nouvelle conversation. »
Quand Kallenberg se jeta dans son avion, il avait la tête bourdonnante. Il avait vaguement entendu parler, comme tout le monde, de cette mère invisible mais toujours vivante, menant quelque part dans les montagnes grecques une existence d'indigente. Mais était-ce bien vrai? L'histoire n'appartenait-elle pas à la légende de S.S.? Et si elle était authentique?
Pour s'en assurer, Barbe-Bleue pensa immédiatement à Raph Dun, un pique-assiette insignifiant de la
« Voilà, avait précisé Barbe-Bleue en baissant le ton, confidentiel, je peux vous donner un scoop mondial… »
Il avait expliqué l'histoire, justifiant son comportement — après tout, le Grec était son beau-frère — par une horrible vacherie que ce dernier aurait commise à son égard, et dont il voulait tirer revanche. Dun avait marché comme un seul homme, grisé par cette entourloupette commise avec un allié aussi considérable.
« Bien entendu, avait ajouté Barbe-Bleue d'un air négligent, je prends tous vos frais à ma charge. Sachez d'abord si Mme Satrapoulos est toujours en vie. Si oui, je veux tout savoir sur elle. Vous pensez bien que j'aurais pu confier ce travail à mes détectives, n'était-ce la discrétion absolue nécessitée par l'entreprise, et la confiance totale que je place en vous (fermez le ban!). Quand vous serez en possession de ces documents, apportez-les-moi. Je vous dirai ce qu'il convient d'en faire. Peut-être ne vous permettrai-je pas de les publier tout de suite, mais soyez certain que vous ne perdrez pas le fruit de votre travail. »