Non, elle ne le savait pas. Elle se sentit écrasée par sa faute. Si Tina ne retournait pas au bercail d'ici peu, tous ses beaux projets seraient à l'eau. Elle serait renvoyée, déshonorée. Elle détourna son regard de Fouillet, qui la toisait sans aménité, une expression sévère sur le visage.
« Eh bien, mademoiselle, c'est très simple. Si Mme Satrapoulos ne se trouve pas dans l'hôtel et qu'elle ne soit pas rentrée… disons… d'ici deux heures… je me verrai dans l'obligation d'alerter le commissariat du quartier. A moins que vous n'ayez une autre solution à me suggérer? »
Maria se taisait, accablée, démolie, angoissée. Il en profita pour gagner la porte, lui lançant auparavant la flèche du parthe :
« Quoi qu'il arrive à cette charmante vieille dame, je crains que l'on vous en tienne pour responsable. »
Il réfléchit une seconde, et ajouta :
« D'ailleurs, je pense que vous êtes
Et il sortit, la laissant plantée au milieu de la pièce. Maria sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle s'abattit sur le lit, se cacha la tête dans les bras et se mit à sangloter.
Tina s'éveilla en sursaut. Elle ouvrit les yeux et se demanda pendant quelques secondes ce qu'elle faisait là, couchée à la belle étoile au lieu de dormir dans le lit de sa maison. Puis, elle se souvint et jeta un regard craintif autour d'elle, pour voir si on ne l'avait pas rattrapée. Le jardin était aussi vide que lorsqu'elle s'était endormie. Machinalement, elle se frictionna vigoureusement les flancs et les bras. Elle était transie de froid. Le petit manteau râpeux était aussi mince qu'une feuille de papier, et pas plus chaud. Ses pieds, qu'elle avait arrosés en prenant de l'eau au robinet, étaient trempés. Elle se leva, s'ébroua et, toute cassée par un vieux rhumatisme, essaya de se diriger vers l'éventaire de bonbons, dont elle espérait pouvoir enlever la bâche pour s'en couvrir.
Sur son passage, des animaux grognaient, des oiseaux s'agitaient. Elle sentait autour d'elle une vie non identifiée mais palpable, devinant des présences qui l'épiaient, mais sans les voir. A plusieurs reprises, dans les zones d'ombre intense, là où ne parvenait pas la sourde lueur du ciel, elle dut se repérer en palpant ce qui se trouvait devant elle. Elle parvint enfin devant la petite charrette. Elle passa d'abord la main sous la toile rugueuse et rafla un paquet de bonbons. Elle déchira l'emballage de cellophane et mâchonna avec satisfaction quelques boules sucrées. Elle entreprit ensuite de tirer sur la bâche, après en avoir relevé l'un des côtés. Elle s'arc-bouta, hala de toutes ses forces, mais rien ne bougea. Elle abandonna momentanément, s'assit par terre et se réconforta de deux autres bonbons. Elle essaya à nouveau, y mettant cette fois une énergie désespérée, car elle commençait à trembler de froid : peine perdue. La bâche avait dû s'accrocher aux montants de l'éventaire. Impossible de la faire glisser, impossible de la déchirer. Elle renonça et partit à la recherche d'un endroit où s'abriter.
Elle erra au hasard pendant une dizaine de minutes, tentant de retrouver certaines petites cages qu'elle avait repérées dans l'après-midi, et où devaient être enfermés des oiseaux. Puisqu'ils étaient vivants, c'est qu'ils étaient abrités. Tina se ferait une petite place parmi eux, dans la paille, et au lever du jour, elle se mêlerait à nouveau aux promeneurs. Elle ruminait une idée qui lui fit rebrousser chemin : si elle voulait séjourner dans cet endroit idyllique, il ne fallait pas qu'elle laissât trace de son passage. Or, l'éventaire de friandises avait été dérangé, il fallait tout remettre en ordre. Elle trottina, eut devant elle la masse légère de la bâche, tira dessus pour en recouvrir l'étalage. Elle y réussit tant bien que mal, poussant le scrupule jusqu'à ratisser la terre de ses mains afin de récupérer les emballages vides. Toutefois, elle se munit de deux paquets d'amandes et repartit en direction des cabanes à oiseaux. Elle s'orienta grâce à un immense néon rouge qui brillait au-dessus de la Halle aux Vins. Devant elle, l'allée se déroulait, juste un peu plus claire que l'obscurité environnante, suffisamment en tout cas pour qu'elle pût la suivre en veillant bien à ne pas s'écarter de son milieu.