Parménide avait refusé de reconnaître toute forme de chan gement. Plus elle y réfléchissait, plus elle était obligée d'admettre qu'il y avait du vrai dans ce qu'il disait. Son bon sens lui interdisait d'accepter l'idée que « quelque chose » puisse d'un seul coup devenir « quelque chose de complète ment différent ». Il n'avait pas manqué de cran, car il avait été obligé de réfuter dans le même temps les phénomènes naturels que chacun pouvait constater par soi-même. Tout le monde avait dû se moquer de lui.
Empédocle aussi avait été assez astucieux pour affirmer que l'univers ne saurait être composé d'un seul mais de plu sieurs éléments. De cette façon, tout changement dans la nature était rendu possible sans pour autant transformer quoi que ce soit.
Le vieux philosophe grec avait abouti à ces conclusions en raisonnant et en étudiant la nature, mais sans toutefois pou voir se livrer à des analyses chimiques comme le font les scientifiques aujourd'hui.
Sophie ne savait pas au juste si elle devait vraiment croire que la terre, l'air, le feu et l'eau étaient à l'origine de tout ce qui est créé dans la nature. Mais au fond, quelle importance? Sur le principe, Empédocle ne s'était pas trompé. La seule possibilité que nous ayons d'accepter toutes les transformations que nos yeux perçoivent sans pour autant perdre le nord, c'est d'introduire plus d'une substance élémentaire.
Sophie trouva que la philosophie, c'était vraiment génial, car elle pouvait suivre toutes ces idées avec sa propre raison, sans avoir besoin de se rappeler ce qu'elle avait appris en classe. Elle en vint à la conclusion que la philosophie n'était pas vraiment quelque chose qu'on peut apprendre, mais qu'on pouvait peut-être apprendre à
Démocrite
Sophie referma la boîte en fer-blanc qui contenait toutes les feuilles dactylographiées de son professeur de philosophie inconnu. Elle se faufila hors de sa cabane et resta un moment à contempler le jardin. Elle revit soudain ce qui s'était passé la veille. Sa mère l'avait même taquinée au petit déjeuner à propos de cette « lettre d'amour ». Elle se dépêcha d'aller voir la boîte aux lettres pour éviter que la même scène ne se reproduise. Recevoir une lettre d'amour, passe encore, mais deuxjours de suite, ce serait carrément la honte.
Elle trouva à nouveau une petite enveloppe blanche ! Sophie commença à entrevoir un certain système dans les livraisons : chaque après-midi, elle avait droit à une grande enveloppe jaune dans la boîte et tandis qu'elle était occupée à lire cette longue lettre, le philosophe parvenait discrètement à glisser dans la boîte une petite enveloppe blanche.
Cela signifiait que Sophie pouvait facilement le démasquer. Mais qui sait si ce n'était pas une femme? Elle n'avait qu'à se poster à sa fenêtre, car de là elle avait une bonne vue sur la boîte aux lettres. Elle finirait bien par coincer ce mystérieux personnage. Les enveloppes blanches ne venaient quand même pas toutes seules !
Sophie décida de mettre son plan à exécution dès le lende main. On serait vendredi et elle aurait ensuite tout le week- end devant elle.
Elle monta dans sa chambre pour ouvrir l'enveloppe. Aujourd'hui, il n'y avait qu'une question sur le petit bout de papier, mais elle paraissait encore plus débile que les trois autres de la fameuse « lettre d'amour » :
Tout d'abord, Sophie n'était pas vraiment d'accord pour dire que le Lego était le jouet le plus génial du monde, en tout cas cela faisait des années qu'elle n'y avait plus touché, Par ailleurs elle ne voyait vraiment pas ce que le Lego avait à faire avec la philosophie.
Mais elle était une élève obéissante. Elle fouilla dans son armoire sur l'étagère du haut et finit par dénicher un sac de plastique rempli de pièces de Lego de toutes les tailles et de toutes les formes.
Elle n'avait pas touché à ce Lego depuis belle lurette. Tan dis qu'elle s'évertuait à construire quelque chose, elle réflé chit à la particularité de ces pièces de Lego.
Rien de plus facile au départ, se dit-elle. Quelles que soient leur forme et leur taille, on peut toujours les assembler entre elles. Et en plus ces morceaux de plastique sont inusables. A-t-on jamais vu un Lego abîmé? De fait, le sien paraissait aussi neuf que lorsqu'elle l'avait reçu il y a quelques années. Et surtout, on pouvait construire tout ce qu'on voulait à partir de ces pièces. On pouvait défaire et recommencer à l'infini en construisant quelque chose de complètement différent.
Que demander de plus ? Sophie se rendit compte que fina lement le Lego méritait bien d'être appelé le jouet le plus génial du monde. Mais quel rapport avec la philosophie ? Là encore, mystère et boule de gomme.