L’attente ne fut pas bien longue, encore qu’avec la peur elle lui parût durer une heure au moins, avant qu’il n’entendît la voix de Sam appeler doucement d’en bas :
« Maintenant, dépêchez-vous, monsieur Frodo ! dit-il. J’ai dû chercher pas mal avant de trouver quelque chose d’assez petit pour des gens comme nous. Faudra s’en contenter. Mais il faut faire vite. J’ai pas rencontré âme qui vive, et j’ai rien vu non plus, mais quelque chose me travaille. Je pense que cet endroit est surveillé. Je peux pas vous l’expliquer, mais voilà : j’ai comme l’impression qu’il y a un de ces horribles Cavaliers ailés aux alentours, là-haut dans le noir où on le voit pas. »
Il ouvrit son ballot. Frodo en examina le contenu avec dégoût, mais il n’avait pas le choix : il lui faudrait mettre ces choses ou partir nu. Il y avait une longue culotte à poils hirsutes faite d’une écœurante peau d’animal, et une tunique de cuir souillé. Il les enfila. Par-dessus la tunique, il passa une cotte de mailles à gros anneaux, courte pour un orque de taille normale, trop longue pour Frodo, et bien lourde. Il mit autour une ceinture où pendait un court étui renfermant un poignard à large lame. Sam avait apporté plusieurs casques d’orques. L’un d’eux convenait assez bien à Frodo, une calotte noire à bordure de fer, cerclée de fer et garnie de cuir, l’Œil Mauvais étant peint en rouge au-dessus du protège-nez en forme de bec.
« L’attirail de Morgul, l’équipement de Gorbag, était mieux adapté et de meilleure façon, dit Sam ; mais ce serait pas une bonne idée, j’imagine, de porter ses emblèmes au Mordor, pas après ce qui s’est passé ici. Eh bien voilà, monsieur Frodo. Un parfait petit orque, si je puis me permettre – du moins vous le seriez si on pouvait vous masquer le visage, vous allonger les bras et vous arquer les jambes. Ceci pourra au moins cacher quelques indices. » Il posa une grande cape noire sur les épaules de Frodo. « Maintenant, vous voilà prêt ! Vous pourrez ramasser un bouclier en passant. »
« Et toi, Sam ? demanda Frodo. Nous ne sommes pas censés être assortis ? »
« Eh bien, monsieur Frodo, j’ai réfléchi, dit Sam. Je ferais mieux de rien laisser de mes affaires, et on peut pas les détruire. Et puis, je peux quand même pas porter des mailles d’orques par-dessus tous mes vêtements, non ? Faudra que je me couvre, c’est tout. »
Il s’agenouilla et plia soigneusement sa cape elfique. Elle donna un rouleau étonnamment petit. Il la rangea dans son paquet laissé sur le sol. Se relevant, il le passa derrière son dos, coiffa sa tête d’un casque d’orque et jeta une autre cape noire sur ses épaules. « Voilà ! dit-il. Maintenant, nous sommes assez assortis. Et là, il faut y aller ! »
« Je ne peux pas faire tout le trajet d’une traite, dit Frodo avec un sourire malicieux. J’espère que tu t’es renseigné sur les auberges en chemin ? Ou aurais-tu oublié le manger et le boire ? »
« Punaise, c’est bien vrai ! » dit Sam. Il eut un sifflement de dépit. « Ah çà ! monsieur Frodo, ce que vous me donnez faim et soif, là ! Je sais plus c’est quand la dernière fois que j’ai pris une goutte ou un morceau. J’ai tout oublié à essayer de vous trouver. Mais attendez que je réfléchisse ! La dernière fois que j’ai regardé, il me restait assez de ce pain de route et de ce que le capitaine Faramir nous a donné pour me garder sur mes jambes pendant encore deux semaines à la rigueur. Mais s’il reste une seule goutte dans ma gourde, c’est tout ce qu’il y a. Ça suffira pas pour nous deux, de toute façon. Ils doivent bien manger, ces orques, et boire ? Ou ils vivent seulement d’air vicié et de poison ? »
« Non, ils mangent et ils boivent, Sam. L’Ombre qui les a enfantés n’arrive jamais qu’à parodier : elle ne peut rien créer d’elle-même qui soit réellement nouveau. Je ne pense pas qu’elle ait donné vie aux orques, elle les a seulement altérés et pervertis ; mais s’ils veulent vivre, il faut bien qu’ils fassent comme toutes les créatures vivantes. Ils se contenteront de liquides et de viandes infects, s’ils ne peuvent trouver mieux, mais jamais de poison. Ils m’ont nourri, alors je suis moins à plaindre que toi. Il doit bien y avoir de la nourriture et de l’eau quelque part par ici. »
« Mais on n’a pas le temps de les chercher », dit Sam.