« Eh bien, les choses ne sont pas aussi noires que tu le crois, dit Frodo. J’ai eu un peu de chance pendant que tu étais parti. En fait, ils n’ont pas tout pris. J’ai trouvé mon sac de nourriture sur le plancher, au milieu de guenilles. Ils l’ont éventré, bien évidemment. Mais l’aspect et l’odeur mêmes du
« Eh bien, ça fait le tour de la question, dit Sam. On a de quoi se mettre en route. N’empêche que l’eau risque d’être un vrai problème. Mais allons, monsieur Frodo ! Partons d’ici ; sinon, même un lac entier pourra pas nous sauver ! »
« Je ne bougerai pas tant que tu n’auras pas avalé une bouchée, Sam, dit Frodo. Tiens, prends ce gâteau elfique, et vide ta gourde ! Toute cette histoire est désespérée, alors inutile de penser à demain. Nous ne le verrons sans doute jamais. »
Enfin, ils se mirent en route. Lorsqu’ils furent au bas de l’échelle, Sam la prit et la déposa dans le couloir, près du corps ramassé de l’orque tombé. L’escalier était sombre, mais sur le toit, la sinistre lueur de la Montagne était encore visible, quoique mourante, d’un rouge éteint. Ils ramassèrent deux boucliers afin de compléter leur déguisement et disparurent du toit.
Ils descendirent d’un pas lourd le long du grand escalier. Dès lors la chambre haute de la tourelle, lieu de leurs retrouvailles, leur parut presque accueillante ; car ils en étaient sortis, et la terreur courait le long des murs. Tout était peut-être mort dans la Tour de Cirith Ungol, mais elle restait imprégnée de peur et de maléfice.
Ils finirent par arriver dans la cour extérieure, et ils s’arrêtèrent. Même d’où ils se tenaient, ils sentaient la malveillance des Guetteurs les marteler, formes noires et silencieuses assises de part et d’autre de l’ouverture où s’entrevoyait la lueur menaçante du Mordor. Comme ils se frayaient un chemin à travers les horribles cadavres d’orques, chaque pas devenait plus difficile. Avant même d’atteindre l’arche, ils se trouvèrent immobilisés. Avancer d’un pouce de plus était douleur et lassitude, tant pour la volonté que pour les membres.
Frodo vacilla ; pareil combat était au-dessus de ses forces. Il se laissa choir sur le sol. « Je ne peux pas continuer, Sam, murmura-t-il. Je vais m’évanouir. Je ne sais pas ce qui m’arrive. »
« Moi je sais, monsieur Frodo. Tenez bon ! C’est la porte. Y a quelque diablerie à l’œuvre. Mais je suis passé une fois, et je vais ressortir. Ça peut pas être plus dangereux qu’avant. On y va ! »
Sam ressortit le globe elfique de Galadriel. Comme pour saluer son courage, et honorer d’une vive splendeur la fidèle main brune de hobbit ayant accompli tant d’exploits, la fiole s’embrasa soudain, si bien que toute la cour enténébrée s’illumina d’un éclat éblouissant, comme la foudre, mais sans discontinuer.
«
«
La volonté des Guetteurs se brisa avec la soudaineté d’une corde qui se rompt, et Frodo et Sam basculèrent en avant. Puis ils coururent. Passé la porte, passé les grandes figures aux yeux étincelants. Un craquement se fit entendre. La clef de voûte de l’arche manqua de s’écraser sur leurs talons et, au-dessus, le mur s’affaissa et tomba en ruine. Ils ne s’échappèrent que de justesse. Une cloche tinta sinistrement ; et une plainte aiguë s’éleva des deux Guetteurs, horrible à entendre. Haut dans les airs, parmi les ténèbres, vint une réponse. Une forme ailée plongea tel un éclair dans le ciel noir, déchirant la nuée d’un cri affreux.
1.
Voir l’Appendice F, ici.
2Le Pays de l’Ombre
Sam eut tout juste la présence d’esprit de remettre la fiole contre sa poitrine. « Courez, monsieur Frodo ! cria-t-il. Non, pas par là ! Il y a un abrupt de l’autre côté du mur. Suivez-moi ! »
Ils s’enfuirent le long de la route partant de la porte. En cinquante pas, par un rapide détour derrière une avancée de l’escarpement, elle les amena hors de vue de la Tour. Ils s’étaient échappés, pour le moment. Tapis contre le roc, ils reprirent leur souffle et s’étreignirent le cœur. Perché à présent sur le mur à côté de la porte en ruine, le Nazgûl lança ses cris mortels. Tous les rochers retentirent.