« Reviens ici, s’écria le soldat, ou je te dénonce ! »
« À qui ? Pas à ton Shagrat chéri. Il ne sera plus capitaine. »
« Je vais donner ton nom et ton numéro aux Nazgûl, dit le soldat, baissant la voix et serrant les dents. Oui, à
L’autre s’arrêta, et sa voix était emplie de crainte et de rage. « Sale mouchard ! Espèce de truand ! hurla-t-il. T’es incapable de faire ton boulot, et t’es même pas foutu de rester solidaire. Va voir tes maudits Criailleurs, et puissent-ils te glacer la peau sur les os ! Si l’ennemi les a pas déjà expédiés. Ils ont occis le Numéro Un, à ce que j’ai entendu dire, et j’espère que c’est vrai ! »
Le grand orque, lance à la main, bondit après lui. Mais le traqueur, sautant derrière une pierre, lui tira une flèche dans l’œil comme il arrivait, et il tomba avec fracas. L’autre s’enfuit dans la vallée et disparut.
Pendant un moment, les hobbits restèrent assis en silence. Enfin, Sam remua. « Eh bien, voilà ce que j’appelle du beau travail, dit-il. Si cet esprit de franche camaraderie pouvait se répandre au Mordor, la moitié de nos ennuis seraient terminés. »
« Tout doux, Sam, murmura Frodo. Il y en a peut-être d’autres dans les parages. Nous l’avons manifestement échappé belle, et la poursuite nous talonnait plus que nous ne le pensions. Mais c’est bien là l’esprit du Mordor, Sam ; et il s’est répandu dans chaque recoin. Les Orques se sont toujours comportés de la sorte lorsqu’ils sont laissés à eux-mêmes, d’après tous les récits. Mais il n’y a pas grand espoir à tirer de cela. Ils nous haïssent bien davantage, en tout point et en toutes circonstances. Si ces deux-là nous avaient vus, ils auraient eu tôt fait de remiser leur querelle jusqu’à ce que nous soyons morts. »
Il y eut encore un long silence. Sam le rompit de nouveau, cette fois en murmurant. « Vous les avez entendus au sujet de ce
« Oui, je me rappelle. Et je me suis demandé comment tu le savais, dit Frodo. Mais allons ! Je crois qu’il vaudrait mieux ne plus bouger d’ici jusqu’à ce qu’il fasse complètement noir. Alors tu vas me dire comment tu le sais, et me raconter tout ce qui s’est passé. Si tu peux le faire sans lever le ton. »
« Je vais essayer, dit Sam, mais quand je pense à ce Chlingueur, j’enrage tellement que je pourrais crier. »
Sous le couvert du buisson épineux, alors que la terne lueur du Mordor se fondait peu à peu en une nuit profonde et sans étoiles, Sam raconta à l’oreille de Frodo tout ce qu’il pouvait exprimer de l’attaque perfide de Gollum, de l’horreur d’Araigne et de ses propres mésaventures avec les orques. Une fois son récit terminé, Frodo ne dit rien, mais il prit la main de Sam et la serra dans la sienne. Enfin, il se secoua.
« Eh bien, je suppose qu’il faut repartir, dit-il. Je me demande combien de temps il faudra avant que nous soyons vraiment pris, toutes nos peines et nos dissimulations terminées, et finalement vaines. » Il se leva. « Il fait noir, et nous ne pouvons nous servir du globe de la Dame. Garde-le précieusement pour moi, Sam. Je n’ai plus nulle part où le mettre, sauf dans le creux de ma main, et j’aurai besoin des deux pour avancer dans la nuit noire. Mais Dard, je te le donne. J’ai bien une lame orque, mais je ne pense pas qu’il m’appartienne de frapper aucun autre coup. »
Il était difficile et dangereux de se mouvoir de nuit dans ce pays accidenté ; mais, lentement et péniblement, les hobbits cheminèrent heure après heure en direction du nord sur la lisière orientale de la vallée pierreuse. Quand la lueur grise reparut sur les hauteurs de l’ouest, longtemps après que le jour se fut levé dans les terres au-delà, ils se remirent à couvert et dormirent un peu, à tour de rôle. Durant ses périodes d’éveil, Sam était préoccupé par la question des vivres. Et quand Frodo se réveilla enfin, proposant de manger avant d’entreprendre un nouvel effort, Sam lui posa la question qui l’inquiétait le plus.
« Vous m’excuserez, monsieur Frodo, dit-il, mais avez-vous idée du chemin qu’il nous reste à faire ? »