« Exactement ! intervint Tom le Jeune. Pensez, ils ont même emmené sa vieille maman, cette Lobelia ; et l’Boutonneux tenait beaucoup à elle, quoiqu’il était peut-être le seul. Ce sont des gens de Hobbiteville, ils ont tout vu. Alors elle descend dans le chemin avec son vieux parapluie, et y a quelques bandits qui montent avec une grosse charrette.
« “Où est-ce que vous allez ?” qu’elle dit.
« “À Cul-de-Sac”, qu’ils répondent.
« “Pour quoi faire ?” qu’elle demande.
« “Construire des baraques pour Charquin”, qu’ils disent.
« “Qui vous a permis de faire ça ?” qu’elle leur dit.
« “Charquin. Alors ôtez-vous du chemin, vieille pie-grièche !”
« “Je vais vous en donner, moi, du Charquin, sales voleurs ! bandits !” qu’elle fait, et de brandir son parapluie en s’en prenant au chef, quasiment deux fois plus grand qu’elle. Alors ils l’ont emmenée. Ils l’ont traînée de force jusqu’aux Troubliettes, à son âge, vous imaginez. Ils en ont pris d’autres et de plus regrettés, mais il faut bien admettre qu’elle a montré plus de courage que la plupart. »
Sam surgit au beau milieu de la conversation, arrivant avec son ancêtre. Le vieux Gamgie ne paraissait pas beaucoup plus vieux, mais il était un peu plus sourd.
« Bonsoir, monsieur Bessac ! dit-il. Vraiment content de vous revoir ici sain et sauf. Mais j’ai un compte à régler avec vous, façon de parler, si je puis me permettre. Z’auriez jamais dû vendre Cul-de-Sac, comme je l’ai toujours dit. C’est ça qu’a commencé toute la bisbille. Et pendant que vous vous trimballiez en pays étranger, à pourchasser des Hommes en noir au haut des montagnes d’après ce que dit mon Sam – pour quoi faire il a pas su dire –, ils sont allés creuser la rue du Jette-Sac et ravager mes pétates ! »
« Je suis profondément navré, monsieur Gamgie, dit Frodo. Mais maintenant que je suis rentré, je vais faire de mon mieux pour me racheter. »
« Ah çà ! vous pourriez pas dire plus joliment, répondit l’Ancêtre. M.
« Entière satisfaction, monsieur Gamgie, dit Frodo. En fait, si vous pouvez le croire, il est devenu l’un des personnages les plus célèbres de toutes les terres, et ses exploits sont chantés partout, d’ici à la Mer et au-delà du Grand Fleuve. » Sam rougit, mais il se tourna vers Frodo avec gratitude, car les yeux de Rosie étaient tout brillants et elle lui souriait.
« Ça fait beaucoup à craire, dit l’Ancêtre, mais je vois qu’il a eu de drôles de fréquentations. Où est-ce qu’est passé son gilet ? J’suis pas friand de toute c’te quincaillerie, qu’elle fasse de l’usage ou pas. »
La maisonnée du fermier Casebonne et tous ses invités se levèrent tôt le lendemain. On n’avait rien entendu cette nuit-là, mais il y aurait certainement d’autres ennuis avant la fin de la journée. « Semble qu’aucun bandit soit resté à Cul-de-Sac, dit Casebonne ; mais la bande de Carrefour se pointera d’une minute à l’autre. »
Après le petit déjeuner, un messager du Pays-de-Touc arriva à cheval. Il exultait. « Le Thain a soulevé tout notre pays, dit-il, et la nouvelle se répand en tous sens comme une traînée de poudre. Les bandits qui surveillaient nos terres ont fui vers le sud, ceux qui ont pu s’échapper vivants. Le Thain les a pris en chasse, pour mieux contrecarrer toute la bande qui se tient là-bas ; mais il vous renvoie M. Peregrin avec tous ces gens dont il peut se passer. »
Les autres nouvelles furent moins bonnes. Merry, resté dehors toute la nuit, revint au galop vers dix heures. « Une bande importante se trouve à environ quatre milles d’ici, dit-il. Ils suivent la route venant de Carrefour, mais bon nombre de brigands errants les ont rejoints. Ils doivent être près d’une centaine, et ils mettent le feu partout sur leur passage, maudits soient-ils ! »
« Ah ! Ces gens-là vont pas rester pour bavarder, ils vont nous tuer s’ils le peuvent, dit le fermier Casebonne. Si les Touc arrivent pas bientôt, on ferait mieux de se mettre à couvert et de tirer sans discuter. Il va forcément y avoir de la bagarre avant que tout soit réglé, monsieur Frodo. »
Mais les Touc arrivèrent bientôt. Ils entrèrent au village avant peu, forts d’une bonne centaine, marchant de Tocquebourg et des Côtes Vertes avec Pippin à leur tête. Merry disposait à présent d’une hobbiterie assez nombreuse et solide pour s’occuper des bandits. Ceux-ci, rapportèrent les éclaireurs, formaient un groupe serré. Ils savaient que la campagne s’était soulevée contre eux, une insurrection qu’ils entendaient visiblement écraser sans état d’âme, en son centre à Belleau. Mais si déterminés qu’ils étaient, ils ne semblaient compter aucun chef dans leurs rangs qui comprît l’art de la guerre. Ils avançaient sans la moindre précaution. Merry eut tôt fait d’établir ses plans.