Ils regagnèrent la Cité main dans la main, derniers à passer les portes avant qu’elles ne soient refermées ; et comme ils entraient dans la rue des Lanterniers, toutes les cloches retentirent, solennelles, dans les tours. Des lumières surgirent à de nombreuses fenêtres ; et des logements et casernes où les hommes d’armes étaient cantonnés le long des murs, montait le son de chansons.
« Au revoir pour cette fois, dit Bergil. Transmets mes salutations à mon père, et remercie-le pour la compagnie qu’il m’a envoyée. Reviens bientôt, je t’en prie. Je voudrais presque qu’il n’y ait pas de guerre ; on aurait passé de bons moments. On aurait pu aller au Lossarnach, rendre visite à mon aïeul : il fait bon là-bas au printemps, les bois et les champs sont remplis de fleurs. Mais on aura peut-être encore l’occasion d’y aller ensemble. Ils ne battront jamais notre Seigneur, et mon père est très brave. Bon vent et reviens ! »
Ils se séparèrent, et Pippin se dépêcha de regagner la citadelle. Le chemin lui parut long ; il se mit à avoir chaud, et faim, et la nuit sombre tombait rapidement. Pas une seule étoile ne perçait le ciel. Il était en retard pour le repas principal au mess, où Beregond l’accueillit avec joie : il le fit asseoir à côté de lui et demanda des nouvelles de son fils. Le repas terminé, Pippin resta un moment mais prit bientôt congé, car une étrange noirceur pesait sur lui ; et il était, à présent, très désireux de revoir Gandalf.
« Pourrez-vous retrouver votre chemin ? lui demanda Beregond à la porte de la petite salle, du côté nord de la citadelle, où ils s’étaient assis. Il fait nuit noire, d’autant plus qu’on a donné ordre de voiler les lumières dans la Cité, et de n’en pas laisser filtrer hors des murs. Et j’ai eu vent d’un autre ordre qui vous touche : vous serez appelé tôt demain matin devant le seigneur Denethor. J’ai peur que vous ne soyez pas affecté à la Troisième Compagnie. Il est tout de même permis d’espérer que nous nous revoyions. Adieu, et dormez en paix ! »
Il faisait noir dans le logement, sauf pour une petite lanterne posée sur la table. Gandalf ne s’y trouvait pas, et l’humeur de Pippin s’assombrit davantage encore. Il grimpa sur le banc et voulut jeter un coup d’œil par l’une des fenêtres ; mais c’était comme de regarder dans une mer d’encre. Il redescendit, ferma le volet et alla se coucher. Il resta quelque temps étendu, guettant les sons d’un éventuel retour de Gandalf ; puis il sombra dans un sommeil inquiet.
Au cours de la nuit, il fut réveillé par une lueur derrière le rideau de l’alcôve, et il vit que Gandalf était rentré et qu’il arpentait la pièce. Il y avait des bougies sur la table et des rouleaux de parchemin. Le magicien soupira, puis il l’entendit murmurer : « Quand donc Faramir reviendra-t-il ? »
« Bonsoir ! dit Pippin, écartant le rideau et sortant la tête. Je pensais que vous m’aviez complètement oublié. Je suis content de vous voir rentré. La journée a été longue. »
« Mais la nuit sera trop courte, dit Gandalf. Je suis revenu ici, car il me faut un peu de tranquillité, seul avec moi-même. Vous feriez mieux de dormir – dans un lit, pendant que vous le pouvez. Au lever du jour, je vous conduirai à nouveau devant le seigneur Denethor. Non. Pas au lever du jour, mais quand vous serez appelé. L’Obscurité a commencé. Il n’y aura pas d’aube. »
2Le passage de la Compagnie Grise
Gandalf était parti, et le battement des sabots de Scadufax s’était perdu dans la nuit quand Merry revint auprès d’Aragorn. Il n’emportait qu’un léger ballot, car il avait perdu toutes ses affaires à Parth Galen, et il n’avait plus que quelques petites choses utiles trouvées parmi les décombres d’Isengard. Hasufel était déjà sellé. Legolas et Gimli se tenaient non loin avec leur monture.
« Ainsi, la Compagnie est réduite au nombre de quatre. Nous continuerons ensemble. Mais nous n’irons pas seuls, comme je l’envisageais. Le roi a résolu de partir tout de suite. Depuis la venue de l’ombre ailée, il souhaite regagner les collines sous le couvert de la nuit. »
« Et ensuite ? » demanda Legolas.
« Je ne saurais dire pour le moment, répondit Aragorn. Le roi, pour sa part, ira au rassemblement prévu à Edoras dans quatre jours. Et il y apprendra, je crois, des nouvelles de la guerre, et les Cavaliers du Rohan descendront jusqu’à Minas Tirith. Quant à moi, et à tous ceux qui voudront me suivre… »
« Moi, pour commencer ! » s’écria Legolas. « Et Gimli aussi ! » renchérit le Nain.
« Enfin, pour ce qui me concerne, dit Aragorn, tout est sombre devant moi. Je dois aussi descendre à Minas Tirith, mais je ne vois pas encore la route. L’heure approche, une heure depuis longtemps préparée. »