Parvenu aussi loin dans mes efforts pour moderniser la langue et les noms des Hobbits et leur donner un air de familiarité, j’ai été entraîné dans une nouvelle démarche. Les langues des Hommes apparentées à l’occidentalien devaient, à mon sens, être rendues par des formes apparentées à l’anglais. J’ai donc transposé la langue du Rohan pour la rapprocher de l’ancien anglais, étant donné sa parenté (relativement lointaine) avec le parler commun, son rapport (très proche) avec l’ancienne langue des Hobbits du Nord, et son caractère archaïque par comparaison à l’occidentalien. Dans le Livre Rouge, il est maintes fois rapporté que les Hobbits, au contact de la langue du Rohan, reconnaissaient de nombreux mots, et voyaient là une langue assez proche de la leur ; ainsi, il paraissait absurde de laisser sous une forme tout à fait étrangère les noms et les mots des Rohirrim préservés dans les chroniques.
J’ai choisi de moderniser la forme et la graphie des toponymes du Rohan dans un certain nombre de cas, comme pour Dunhart
; mais ce choix n’est pas systématique, car j’ai suivi l’exemple des Hobbits. Ils modifiaient les noms qu’ils entendaient de la même manière, lorsque ces noms étaient composés d’éléments qu’ils reconnaissaient, ou ressemblaient à des toponymes du Comté ; mais il en est d’autres auxquels ils ne touchaient pas, et j’ai fait la même chose, comme pour Edoras « les clos ». Pour les mêmes raisons, quelques noms de personnes ont été modernisés, dont celui de Langue de Serpent10.Cette assimilation permet aussi de représenter les vocables régionaux spécifiques aux Hobbits, originaires des parlers du Nord. Je leur ai donné des formes qu’auraient pu prendre, s’ils avaient survécu jusqu’à nos jours, des mots désuets de la langue anglaise. Ainsi, mathom
est à l’ancien anglais máthm ce que le véritable mot hobbit kast est au kastu de la langue du Rohan. De même, smial (ou smile, prononcé à l’anglaise) « terrier » est un descendant plausible de l’ancien mot smygel, ce qui représente bien la relation qui existait entre le mot hobbit trân et celui du Rohan trahan. Sméagol et Déagol sont des équivalents inventés selon le même principe pour les noms Trahald « chose qui fouit, se faufile » et Nahald « secret » des langues du Nord.La langue du Val, plus septentrionale encore, n’apparaît au cours du récit que dans les noms des Nains originaires de cette région et donc locuteurs de la langue des Hommes qui y vivaient, d’où leurs noms « extérieurs » choisis dans cette langue. Notons que dans la version anglaise du présent livre, comme dans Le Hobbit
, c’est la forme dwarves qui est utilisée (pour « nains »), bien que les dictionnaires nous disent que le pluriel de dwarf est dwarfs. Ce serait plutôt dwarrows (ou dwerrows), si le singulier et le pluriel avaient chacun suivi leur propre voie au cours des années, comme c’est le cas de man et men (« homme[s] »), ou goose et geese (« oie[s] »). Mais l’on ne parle plus aussi souvent des nains que l’on parle des hommes, ou même des oies, et les Hommes n’ont pas eu la mémoire assez fidèle pour que l’usage consacre un pluriel spécial à une race désormais abandonnée au conte populaire (où subsiste néanmoins une parcelle de vérité), et enfin aux histoires sans queue ni tête où ils font figure de simples bouffons. Mais au Troisième Âge s’entrevoit encore une part de leur caractère et de leur pouvoir d’antan, encore que déjà un peu pâlis : les descendants des Naugrim, en qui brûle encore la flamme ancienne d’Aulë le Forgeron et couvent les braises d’une longue rancune contre les Elfes ; et en les mains desquels survit un don pour le travail de la pierre que nul n’a jamais égalé.