On remarquera que les Hobbits, comme Frodo, et d’autres personnages, comme Gandalf et Aragorn, ne s’expriment pas toujours dans le même style. Ce choix est délibéré. Les Hobbits les plus érudits et les plus capables n’étaient pas sans connaître la « langue des livres », comme on disait dans le Comté ; et ils étaient prompts à saisir et à adopter le style de ceux qu’ils rencontraient. Il était, au surplus, tout à fait naturel pour les grands voyageurs de s’exprimer dans la manière des gens qu’ils se trouvaient côtoyer, et c’était d’autant plus vrai pour les hommes qui, comme Aragorn, s’efforçaient bien souvent de cacher leurs origines et leurs desseins. Néanmoins, en ce temps-là, tous les ennemis de l’Ennemi honoraient les choses anciennes, en matière de langues comme en toute autre chose, et ils y prenaient plaisir dans la mesure de leurs connaissances. Les Eldar, suprêmement doués avec les mots, maîtrisaient une variété de styles, quoique leur expression la plus naturelle fût celle qui s’approchait de leur propre langue, encore plus ancienne que celle du Gondor. Les Nains s’exprimaient eux aussi avec habileté, s’adaptant aisément à leur entourage, bien que leur élocution semblât plutôt heurtée, et par trop gutturale à certaines oreilles. Mais les Orques et les Trolls parlaient comme bon leur semblait, sans amour pour les mots ou les choses ; et leur langue était en réalité plus vile et plus ordurière que je ne l’ai montré. Je ne crois pas qu’il s’en trouvera pour réclamer de ma part une reproduction plus fidèle, mais ce ne sont pas les exemples qui manquent. On entend encore le même langage dans la bouche de ceux qui pensent comme des Orques : répétitif et ennuyeux, pétri de haine et de mépris, et depuis trop longtemps éloigné du bien pour conserver ne serait-ce que la force expressive, sauf pour qui la puissance de l’expression est proportionnelle à la sordidité du propos.
Cette démarche de traduction n’a, forcément, rien d’exceptionnel, puisqu’elle inévitable pour tout récit des temps passés. Habituellement, elle s’arrête là ; mais je suis allé plus loin. J’ai également traduit tous les noms occidentaliens selon leur sens. Lorsque apparaît dans ce livre un nom ou un titre qui semble appartenir à notre langue, cela signifie qu’il existait à l’époque un équivalent courant dans le parler commun, en plus ou au lieu de ceux en langues étrangères (le plus souvent elfiques).
En règle générale, les noms occidentaliens étaient des traductions de noms plus anciens : c’est le cas de Fendeval, Bruyandeau, Argentine, Longuestrande, l’Ennemi, la Tour Sombre. D’autres avaient un sens différent, comme le Mont Destin pour
Le choix de traduire ces noms appelle sans doute quelques explications. Conserver tous les noms sous leur forme originelle aurait, m’a-t-il semblé, eu pour effet de masquer une caractéristique essentielle de l’époque du point de vue des Hobbits (point de vue que j’ai cherché le plus souvent à conserver) : le contraste entre une langue très répandue, pour eux aussi ordinaire et habituelle que l’anglais peut l’être pour nous, et les vestiges encore présents de langues beaucoup plus anciennes et plus vénérables. Si je m’étais contenté de transcrire tous les noms, ils auraient semblé tout aussi obscurs aux yeux des lecteurs modernes – si, par exemple, le nom elfique
Le nom du Comté (