« Allons, maître Meriadoc ! lui dit-il. Vous ne resterez pas debout. Vous serez assis à côté de moi tant que nous serons sur mes propres terres, et m’allégerez le cœur avec vos contes. »
Une place à main gauche du roi fut ménagée pour le hobbit, mais personne ne lui demanda de conte. En fait, ils parlèrent peu, et tous mangèrent et burent la plupart du temps en silence, jusqu’à ce que Merry, rassemblant son courage, se décidât enfin à poser la question qui le tourmentait.
« Par deux fois maintenant, sire, ai-je entendu parler des Chemins des Morts, commença-t-il. Que sont-ils ? Et l’Arpenteur – je veux dire, le seigneur Aragorn –, où est-il parti ? »
Le roi soupira, mais personne ne répondit. Enfin, Éomer prit la parole. « Nous l’ignorons, et nos cœurs sont lourds, dit-il. Mais pour ce qui est des Chemins des Morts, vous en avez vous-même franchi les premiers pas. Non, ce ne sont pas des paroles de mauvais augure ! La route que nous avons suivie est celle qui conduit à la Porte, là-bas, dans le Dimholt. Mais nul ne sait ce qui se trouve au-delà. »
« Nul ne le sait, dit Théoden ; mais les légendes anciennes, rarement évoquées de nos jours, en disent quelque chose. S’il y a du vrai dans ces anciens contes, transmis de père en fils dans la Maison d’Eorl, la porte sous le Dwimorberg mène à une voie secrète qui passe sous les montagnes vers une fin oubliée. Mais nul n’a osé y pénétrer pour en découvrir les secrets, depuis le jour où Baldor, fils de Brego, passa la Porte et ne fut jamais plus revu parmi les hommes. C’est en vidant la corne au festin donné par Brego pour la consécration de Meduseld, alors nouvellement construite, qu’il prononça un vœu irréfléchi ; et jamais il n’accéda au haut siège dont il était l’héritier.
« On dit que les Hommes Morts issus des Années Sombres gardent la voie, et que leurs salles cachées sont interdites aux vivants ; mais il arrive qu’on les voie eux-mêmes sortir par la porte et descendre la route des pierres comme des ombres. Alors, les gens du Val de Hart bâclent leurs portes et couvrent leurs fenêtres, et ils tremblent. Mais les Morts ne sortent que rarement, et seulement quand les jours sont inquiets et funestes. »
« On dit pourtant au Val, commença Éowyn à voix basse, que les nuits sans lune des jours récents ont vu passer une grande armée du plus étrange appareil. Personne ne savait d’où elle venait, mais elle a pris la route des pierres et a disparu dans la montagne, comme si elle y avait rendez-vous. »
« Dans ce cas, pourquoi Aragorn est-il allé de ce côté ? demanda Merry. Vous ne voyez rien qui puisse l’expliquer ? »
« À moins qu’il ne vous ait confié en ami des choses que nous n’avons pas entendues, répondit Éomer, personne au royaume des vivants ne peut maintenant dire quel est son dessein. »
« Il m’a paru beaucoup changé depuis notre première rencontre dans la demeure du roi, dit Éowyn : plus sombre, plus vieux. Je l’ai trouvé dans une humeur noire, comme quelqu’un que les Morts appellent. »
« Peut-être a-t-il été appelé, dit Théoden ; et mon cœur me dit que je ne le reverrai jamais. Mais c’est un homme royal et de haute destinée. Et console-toi en ceci, ma fille, puisque tu sembles avoir besoin de réconfort dans ta peine pour cet hôte. Il est dit que, quand les Eorlingas descendirent du Nord et remontèrent la Snawburna à la recherche de refuges sûrs, Brego et son fils Baldor gravirent l’Escalier du Fort et arrivèrent ainsi à la Porte. Sur le seuil était assis un homme, vieux comme les monts ; autrefois grand et noble, il paraissait flétri comme une vieille pierre. En vérité, ils crurent d’abord à une pierre, car il ne bougea point et ne dit mot, jusqu’à ce qu’ils voulussent le contourner pour entrer. Alors s’éleva sa voix, comme sortie de terre, et à leur stupéfaction elle parla dans la langue de l’Ouest :
« Lors ils s’arrêtèrent et le regardèrent, et ils surent qu’il vivait encore ; mais son regard ne les suivait pas.
«