« Venez çà ! cria-t-il à ses serviteurs. Venez, si vous n’êtes pas tous des traîtres ! » Deux d’entre eux accoururent au sommet des marches. Des mains du premier, il saisit brusquement une torche et s’engouffra à l’intérieur. Avant que Gandalf ne pût l’en empêcher, il jeta le brandon parmi le combustible, qui aussitôt pétilla et s’embrasa avec un grondement.
Lors Denethor sauta sur la table et il s’y tint debout, drapé de flammes et de fumée ; et il prit le bâton de son intendance qui gisait à ses pieds et le brisa sur son genou. Ayant jeté les morceaux au feu, il se pencha et s’étendit sur la table, serrant le
Gandalf, dans son horreur et son affliction, détourna la tête et referma la porte. Il se tint un moment silencieux sur le seuil, plongé dans quelque réflexion ; les spectateurs pouvaient entendre le grondement avide du feu à l’intérieur. Alors, Denethor poussa un grand cri ; puis il ne parla plus, et il ne fut jamais revu d’aucun mortel.
« Ainsi finit Denethor, fils d’Ecthelion », dit Gandalf. Puis il se tourna vers Beregond et les serviteurs du Seigneur qui se tenaient là, atterrés. « Et ainsi s’achèvent les jours du Gondor que vous avez connu ; pour le bien ou pour le mal, ils sont terminés. De terribles actes ont été commis ici ; mais fasse que toute inimitié soit écartée entre vous, car c’est le fait de l’Ennemi, et elle sert sa volonté. Vous vous êtes pris dans un filet de devoirs contraires que vous n’avez pas tissé. Mais songez, vous autres féaux serviteurs, aveugles dans votre obédience, que n’eût été la trahison de Beregond, Faramir, Capitaine de la Tour Blanche, serait brûlé lui aussi, à présent.
« Portez vos camarades tombés hors de cet endroit funeste. Nous, nous emmènerons Faramir, Intendant du Gondor, dans un lieu où il pourra dormir en paix, ou mourir, si son destin est tel. »
Gandalf et Beregond emportèrent alors le brancard vers les Maisons de Guérison, et Pippin les suivit, la tête basse. Mais les hommes du Seigneur restèrent comme pétrifiés devant la demeure mortuaire ; et tandis que Gandalf arrivait au bout de Rath Dínen, un grand bruit s’éleva. Regardant en arrière, ils virent le dôme de la maison se fissurer et de la fumée en sortir ; puis, avec un grondement et un fracas de pierre, il s’écroula en un tourbillon d’étincelles ; mais les flammes encore vives continuaient de danser et de trembloter parmi les ruines. Les serviteurs s’enfuirent alors, terrifiés, et coururent rejoindre Gandalf.
Ils finirent par regagner la Porte de l’Intendant, et Beregond regarda le portier d’un air douloureux. « Cet acte me sera toujours odieux, dit-il ; mais j’étais dans une folle hâte, et plutôt que de m’écouter, il a tiré l’épée contre moi. » Il sortit la clef qu’il avait ravie au mort, referma la porte et tourna la serrure. « Il faudrait la remettre au seigneur Faramir », dit-il.
« Le Prince de Dol Amroth a pris le commandement en l’absence du Seigneur, dit Gandalf, mais comme il n’est pas ici, je dois prendre cette décision sur moi. Je vous demanderais de conserver précieusement cette clef, jusqu’à ce que les choses soient remises en ordre. »
Ils passèrent enfin dans les hauts cercles de la Cité et suivirent, à la lumière du matin, le chemin des Maisons de Guérison ; et c’étaient de belles demeures construites à l’écart pour le soin des personnes gravement malades, mais elles devaient à présent accueillir et soigner les blessés et les mourants. Elles se trouvaient non loin de la Porte de la Citadelle, contre le rempart sud du sixième cercle, et elles étaient entourées d’un jardin et d’une pelouse plantée d’arbres, seul endroit semblable dans la Cité. Là demeuraient les quelques femmes qui avaient eu la permission de rester à Minas Tirith, étant au service des guérisseurs ou elles-mêmes versées dans cet art.
Mais au moment où Gandalf et ses compagnons arrivaient avec le brancard à l’entrée principale des Maisons, ils entendirent un grand cri qui semblait monter du champ de bataille devant la Porte : une plainte aiguë et perçante qui, s’élevant dans le ciel, passa, et mourut au vent. Ce cri était si horrible que, pendant un instant, tous restèrent figés sur place ; mais lorsqu’il se fut éteint, leur cœur se gonfla d’un espoir comme ils n’en avaient pas connu depuis que les ténèbres étaient venues de l’Est ; et il leur sembla que la lumière s’éclaircissait et que le soleil perçait les nuages.