Déjà, des hommes s’employaient à ouvrir un passage à travers les débris de la bataille ; et certains, venus de la Porte, apportaient maintenant des civières. Éowyn fut soigneusement déposée sur des coussins moelleux ; mais le corps du roi fut recouvert d’un grand drap d’or : des hommes portaient autour de lui des torches dont la flamme, pâle dans le soleil, papillonnait au vent.
Théoden et Éowyn entrèrent ainsi dans la Cité du Gondor, et tous ceux qui les virent se découvrirent et s’inclinèrent ; mais ils passèrent à travers les cendres et la fumée du cercle incendié et poursuivirent leur ascension le long des rues de pierre. La montée parut une éternité aux yeux de Merry, une marche insensée à travers un rêve odieux qui n’en finissait plus, tendant vers quelque sombre fin insaisissable par la mémoire.
Peu à peu, la lumière des torches devant lui vacilla et s’éteignit ; il marchait dans les ténèbres, et il se dit : « Ce tunnel mène à un tombeau ; nous y demeurerons pour toujours. » Mais soudain, une voix vivante s’immisça dans son rêve.
« Ah, Merry ! Heureusement, je te retrouve ! »
Il leva la tête, et la brume qui troublait son regard se dissipa quelque peu. Pippin était là ! Ils se trouvaient face à face au milieu d’une étroite rue, et, sauf pour eux-mêmes, elle était vide. Il se frotta les yeux.
« Où est le roi ? demanda-t-il. Et Éowyn ? » Alors il trébucha, et il s’assit sur le pas d’une porte et recommença à pleurer.
« Ils sont montés à la Citadelle, dit Pippin. Je crois que tu as dû t’endormir sur tes jambes et prendre un mauvais tournant. Quand nous avons vu que tu n’étais pas avec eux, Gandalf m’a envoyé à ta recherche. Mon pauvre vieux ! Je suis si content de te revoir ! Mais tu es épuisé, et je ne te fatiguerai pas avec mes questions. Dis-moi tout de même : as-tu mal ? Es-tu blessé ? »
« Non, dit Merry. Enfin, non, je ne pense pas. Mais je ne peux plus me servir de mon bras droit, Pippin, pas depuis que je l’ai frappé. Et mon épée est tombée en cendres comme un morceau de bois. »
Pippin le dévisagea d’un air anxieux. « Eh bien, tu ferais mieux de venir avec moi aussi vite que tu le peux, dit-il. J’aimerais pouvoir te porter. Tu n’es plus en état de marcher. Ils n’auraient pas dû te laisser marcher du tout ; mais tu dois leur pardonner. Il s’est passé tant de choses horribles dans la Cité, Merry, qu’il est facile de ne pas remarquer un pauvre hobbit rentrant tout seul de la bataille. »
« Il est parfois bon de passer inaperçu, dit Merry. C’est ce qui m’est arrivé tout à l’heure quand… non, non, je ne peux pas en parler. Aide-moi, Pippin ! Tout redevient sombre, et mon bras est si froid. »
« Appuie-toi sur moi, mon gars ! dit Pippin. Allons, Merry ! Un pied à la fois. Ce n’est pas loin. »
« Vas-tu m’enterrer ? » demanda Merry.
« Certes non ! » dit Pippin, affectant la bonne humeur ; mais son cœur était lourd de crainte et de pitié. « Non, nous allons aux Maisons de Guérison. »
Ils quittèrent la ruelle, emprisonnée entre de hautes maisons et le mur extérieur du quatrième cercle, et regagnèrent la grand-rue menant à la Citadelle, qu’ils gravirent pas à pas. Merry vacillait et marmonnait comme un somnambule.
« On n’y arrivera jamais, pensa Pippin. N’y a-t-il personne pour m’aider ? Je ne peux pas le laisser ici. » Mais à sa surprise, un garçon vint en courant derrière lui ; et comme il les dépassait, Pippin reconnut Bergil fils de Beregond.
« Hé, Bergil ! appela-t-il. Où vas-tu ? Content de te retrouver sain et sauf ! »
« Je fais des commissions pour les Guérisseurs, dit Bergil. Je ne peux pas rester. »
« Non ! dit Pippin. Mais dis-leur que j’ai ici un hobbit malade, un
« Je ferais mieux d’attendre ici », se dit Pippin. Il laissa lentement glisser Merry sur le pavement, dans un carré de soleil ; puis s’assit à côté de lui, posant la tête de son compagnon dans son giron. Il lui tâta doucement le corps et les membres, et il prit sa main dans la sienne. Elle lui parut glaciale.
Il ne fallut pas longtemps avant que Gandalf vînt lui-même à leur recherche. Il se pencha sur Merry et lui caressa le front ; puis il le souleva avec délicatesse. « Il aurait dû être porté avec honneur dans cette cité, dit-il. Il m’a bien rendu ma confiance ; car si Elrond n’avait pas cédé à ma prière, aucun de vous deux ne serait venu, et le malheur de cette journée eût été beaucoup plus grand. » Il soupira. « Mais me voilà avec un autre malade sur les bras, pendant que le sort de la bataille se décide. »