— Mat, personne n’a fait de lien entre ce truc et ses crimes. Il n’y a que toi pour…
— Tu crois que tu pourrais récupérer son dossier médical ?
— En estonien ? Bonne chance, camarade !
— Tu peux le récupérer ou non ?
— Je vais voir. Avec un peu de bol, il sera rédigé en russe !
Je ne pris pas la peine de rire :
— Tiens-moi au courant.
— Où ?
— Mon portable. Je capte.
— Et toi ? Si tu m’en disais un peu plus ?
À moi de donner quelques biscuits à Foucault :
— Le meurtre du gendarme, dans le Jura. Son nom, c’est Stéphane Sarrazin. Mais c’est un nom d’emprunt. En réalité, il s’appelle Thomas Longhini.
— Le môme qu’on cherchait ?
— Lui-même. Devenu gendarme, et sataniste à ses heures. Son meurtre est lié à mon affaire.
— De quelle façon ?
— Je ne sais pas encore. Appelle le SRPJ de Besançon et demande-leur s’ils ont des renseignements sur les relevés scientifiques chez Sarrazin. Il y avait une inscription sanglante sur les lieux.
— Tu y étais ?
— C’est moi qui ai découvert le corps.
— On peut pas te laisser cinq minutes.
— Ecoute-moi. Vérifie s’ils ont analysé l’inscription. S’il n’y avait pas des empreintes ou d’autres indices. Mais tu n’approches pas les gendarmes, compris ? Ils ne doivent pas savoir qu’on s’intéresse à ce coup. Encore moins la juge, une femme du nom de Corine Magnan.
— Rien d’autre, mon général ?
— Si. Contacte les Renseignements Généraux, leur groupe spécialisé dans les sectes. Vérifie s’ils ont un dossier sur un groupe satanique. Des mecs qui se font appeler les Asservis. Ou parfois les Scribes.
Silence. Foucault prenait des notes. En guise de conclusion, je dis :
— Avance sur tout ça. Je vais bientôt rentrer. Je te donnerai les détails à mon retour.
Je raccrochai. Ces coups de sonde ne menaient à rien mais j’étais de nouveau sur les rails. Et je nourrissais toujours l’espoir d’un croisement entre ces données. Un point d’intersection qui indiquerait non pas un nom, mais au moins une direction.
J’appelai Svendsen. Malgré l’heure tardive, son « allô » était vif. Dès qu’il reconnut ma voix, il piqua une gueulante :
— Qu’est-ce que tu fous ? Il n’y a pas moyen de te joindre ! Tu n’as même plus de messagerie !
— Je suis en Pologne.
— En Pologne ?
— Laisse tomber. J’ai besoin que tu fasses un truc pour moi.
— J’ai pas mal de nouveau.
— Je sais. Je raccroche d’avec Foucault.
Le Suédois émit un grognement, déçu de ne pas livrer lui-même ses trouvailles.
— Il y a eu un meurtre, à Besançon, enchaînai-je. Un gendarme.
— J’ai lu ça. Dans
Le meurtre avait donc retenu l’attention des quotidiens nationaux. C’était un signe. L’affaire Simonis allait exploser. Mon équipe devait désormais éviter non seulement les gendarmes mais aussi les médias, le poursuivis :
— Il va y avoir une autopsie. Je voudrais que tu appelles Guillaume Valleret, le légiste de l’hôpital Jean-Minjoz, à Besançon.
— Connais pas.
— Si. Souviens-toi : je t’avais demandé des infos sur lui.
— Le dépressif ?
— Lui-même. Demande-lui des précisions sur le corps.
— Pourquoi il me répondrait ?
— Il m’a déjà parlé, à propos de Sylvie Simonis.
— C’est la même affaire ?
— Le même tueur, à mon avis. Il joue avec la dégénérescence des corps. Vois avec Valleret s’il n’y pas eu un travail de ce type sur le gendarme.
— Le corps est déjà décomposé ?
L’odeur dans les narines, les mouches autour de moi, la céramique tachée de sang.
— Pas au même point que Sylvie Simonis mais le meurtrier a accéléré le processus.
— Tu as vu le cadavre ?
— Appelle Valleret. Interroge-le. Rappelle-moi.
— Ce tueur, c’est le mec que tu cherches depuis le début ?
Sur les carreaux de la salle de bains : « TOI ET MOI SEULEMENT. »
Sur le bois du confessionnal : « JE T’ATTENDAIS. » C’était plutôt lui qui me cherchait. Je m’arrachai à mes pensées et conclus :— Vois avec le légiste. C’est toi qui dois obtenir des réponses.
— Je l’appelle à la première heure.
Je coupai mon portable. Allongé, j’observais les murs qui m’entouraient. Noirs, épais, indestructibles. Les mêmes murs qui protégeaient Manon…
Tout de suite, elle revint au centre de mes pensées. Auréolée de pensées frémissantes, de fébrilité adolescente… « Non », fis-je en secouant la tête. J’avais parlé à voix haute. Je devais me concentrer sur l’enquête et rien d’autre. Interroger Manon Simonis. Sonder sa mémoire et quitter la Pologne. Avant de perdre toute objectivité à son sujet.
87
Depuis deux jours, je déambulais dans Cracovie, toute la journée, prenant soin d’éviter Manon. Pas moyen d’affronter la princesse. J’avais contracté une maladie et me débattais encore, refusant de sombrer dans mon propre sentiment. On pouvait dire les choses autrement : j’étais déjà terrorisé à l’idée de ne pas lui plaire, de subir un échec…