Читаем Le Serment des limbes полностью

J’en oubliais mon affaire, gaspillant ces journées à errer dans la ville, n’écoutant même pas mes messages. Ce matin pourtant, au réveil, j’avais décidé de m’y remettre. Je me levai et allumai mon cellulaire. J’écoutai ma boîte vocale. Foucault. Svendsen. Plusieurs fois, de plus en plus impatients. Je les rappelai aussi sec. Répondeurs. Il était 7 heures du matin.

Je m’habillai sans me doucher — trop froid — et allumai le PC. Mes e-mails. Toujours pas le dossier anglais de Raïmo Rihiimäki. Ni d’autre message notable. Je me connectai à mes journaux habituels. République des Pyrénées. Courrier du Jura. Est républicain. Les nouveaux articles sur les meurtres de Bucholz et de Sarrazin s’éteignaient à petit feu. Des coquilles vides. Je revins au présent. Une idée me travaillait en sourdine, depuis cette nuit. Fureter un peu au sein du couvent-monastère, dont les activités me paraissaient de plus en plus obscures, malgré la visite guidée de Zamorski.

J’avais tenté de retourner dans le quartier général souterrain. Impossible. Capteurs biométriques, caméras, cellules photoélectriques. La zone était surprotégée, plus fermée qu’un centre militaire. D’autres pièces, au rez-de-chaussée, offraient aussi leur part de mystère. La veille, j’avais tracé un plan rapide du cloître. Les bâtiments, autour de la cour centrale, se divisaient en deux « L » dévolus aux deux ordres : les Bénédictines au nord-est, les prêtres au sud-ouest. Chaque zone possédait sa chapelle, aucune aire commune, à l’exception du réfectoire, où hommes et femmes prenaient leurs repas en alternance. Je me concentrai sur la partie sud-ouest. J’avais grisé au crayon les parties déjà visitées. Au rez-de-chaussée, les bureaux administratifs. Ensuite, une bibliothèque. Des séminaristes y préparaient leur thèse sur des épisodes de l’histoire religieuse de la Pologne. Puis la chapelle et un espace de détente. Cela me laissait deux salles inconnues, à la jonction du L. Je pariai pour le bureau personnel de Zamorski et une salle de réunion secrète…

J’enfilai ma veste et me décidai pour un tour matinal. Les Bénédictines priaient — office de l’Angélus — et les prêtres prenaient leur petit déjeuner. L’heure idéale. Je remontai la promenade et descendis. Le jour se levait avec peine. À l’angle des deux galeries, je m’arrêtai face à la porte qui correspondait à la plus grande pièce — a priori, la salle secrète. Je sortis mon passe. Fraîcheur de la pierre. Odeur du buis et des cyprès. Le froid isolait chaque sensation. Je glissai la première clé et me rendis compte que la porte n’était même pas fermée.

Une nouvelle chapelle.

Plus longue, plus étroite, plus mystérieuse.

Des fenêtres étrécies révélaient le bleu de l’aube. Des rangées de chaises, surmontées de pupitres aux couvercles fermés, se succédaient jusqu’au chœur. Pas d’autel, pas de croix. Seulement une rosace au vitrail blanc au fond, qui paraissait froissé comme du papier d’argent. Je fis quelques pas. Ce qui frappait ici, c’était la qualité exceptionnelle du silence et la pureté du froid. Mes yeux s’habituaient à la pénombre. Je discernais maintenant des couleurs. Les colonnes étaient blanches, le sol en terre cuite, d’un ocre doux, l’enduit des murs vert pastel. Il n’y avait rien pour moi dans ce lieu mais une force me poussait à y rester.

Soudain, la lumière jaillit.

— Le blanc, le rouge et le vert. Les couleurs du prince Jabelowski, le fondateur du monastère.

Je me retournai. Zamorski se tenait sur le seuil de la salle, la main encore posée sur le commutateur. Je feignis la décontraction :

— Où sommes-nous ?

— Dans une bibliothèque.

— Je ne vois pas les livres.

Zamorski avança dans l’allée centrale et souleva le couvercle d’un pupitre. Des reliures de cuir y brillaient comme des lingots d’or griffé. Il saisit un ouvrage. Un cliquetis retentit : l’exemplaire était enchaîné. Une tige de fer noir courait le long du bois, où les anneaux s’enfilaient. J’avais entendu parler de ce genre de bibliothèques, datant de la Renaissance. Des lieux où les livres étaient prisonniers.

— La salle date du XVe siècle, confirma le nonce. Elle est restée en l’état, malgré les guerres, les invasions, le nazisme, le communisme. Un lieu symbolique, qui nous intéresse au plus haut point.

— Vous voulez en faire un musée ? demandai-je sur un ton ironique.

Il lâcha le lourd in-folio, produisant un bruit lugubre.

— Ce lieu est emblématique de notre lutte, Mathieu. Dans les années 1450, après la guerre hussite qui avait détruit de nombreux sites religieux, le prince Jabelowski a fait construire ce cloître. Il avait un projet. Fonder une congrégation nouvelle, après avoir subi une expérience mentale, disons, particulière…

— Vous voulez dire…

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