Nous allions au verger cueillir des bigarreaux.Avec ses beaux bras blancs en marbre de Paros,Elle montait dans l’arbre et courbait une branche;Les feuilles frissonnaient au vent; sa gorge blanche,Ô Virgile, ondoyait dans l’ombre et le soleil;Ses petits doigts allaient chercher le fruit vermeil,Semblable au feu qu’on voit dans le buisson qui flambe.Je montais derrière elle; elle montrait sa jambe,Et disait: «Taisez-vous!» à mes regards ardents;Et chantait. Par moments, entre ses belles dents,Pareille, aux chansons près, à Diane farouche,Penchée, elle m’offrait la cerise à sa bouche;Et ma bouche riait, et venait s’y poser,Et laissait la cerise et prenait le baiser.
Triel, juillet 18…
VIII .
Tu peux, comme il te plaît, me faire jeune ou vieux.Comme le soleil fait serein ou pluvieuxL’azur dont il est l’âme et que sa clarté dore,Tu peux m’emplir de brume ou m’inonder d’aurore,Du haut de ta splendeur, si pure qu’en ses plis,Tu sembles une femme enfermée en un lis,Et qu’à d’autres moments, l’œil qu’éblouit ton âmeCroit voir, en te voyant, un lis dans une femme.Si tu m’as souri, Dieu! tout mon être bondit!Si, Madame, au milieu de tous, vous m’avez dit,À haute voix: «Bonjour, Monsieur», et bas: «Je t’aime!»Si tu m’as caressé de ton regard suprême,Je vis! je suis léger, je suis fier, je suis grand;Ta prunelle m’éclaire en me transfigurant;J’ai le reflet charmant des yeux dont tu m’accueilles;Comme on sent dans un bois des ailes sous les feuilles,On sent de la gaîté sous chacun de mes mots;Je cours, je vais, je ris; plus d’ennuis, plus de maux;Et je chante, et voilà sur mon front la jeunesse!Mais que ton cœur injuste, un jour, me méconnaisse;Qu’il me faille porter en moi, jusqu’à demain,L’énigme de ta main retirée à ma main;– Qu’ai-je fait? qu’avait-elle? Elle avait quelque chose.Pourquoi, dans la rumeur du salon où l’on cause,Personne n’entendant, me disait-elle vous? –Si je ne sais quel froid dans ton regard si douxA passé comme passe au ciel une nuée,Je sens mon âme en moi toute diminuée;Je m’en vais, courbé, las, sombre comme un aïeul;Il semble que sur moi, secouant son linceul,Se soit soudain penché le noir vieillard Décembre;Comme un loup dans son trou, je rentre dans ma chambre:Le chagrin – âge et deuil, hélas! ont le même air, –Assombrit chaque trait de mon visage amer,Et m’y creuse une ride avec sa main pesante.Joyeux, j’ai vingt-cinq ans; triste, j’en ai soixante.