Le pire, c'est le dimanche soir. L'hiver. Quand il pleut. A cinq heures, le décor a déjà tourné. Le temps devant soi est compté. Il est loin le samedi matin, quand Tom et Victor lançaient leur «Salut, Pap'!» juste avant de sauter dans les bras de leur père. Depuis, le sablier s'est vidé de presque tous ses grains. Ils aimeraient retenir ceux qui restent, mais ils glissent, inexorables, vers la fin du droit de garde. Le jour déclinant est comme une taie recouvrant les humeurs. S'il y avait de la joie, elle prend du poids, elle s'affaisse, elle a l'aile plombée.
Plus que deux heures.
Pap' et ses fils sont devant leur thé au caramel; ils savent que c'est le dernier goûter. Ils font mine de rien. Lui, il se pose les questions bimensuelles: a-t-il fait ce qu'il convenait de faire? Tom et Victor ont-ils été contents? Gardent-ils un reproche en eux? Reviendront-ils avec plaisir?
Il ne pensait pas que dans sa vie d'adulte il détesterait autant les dimanches soir qu'il les avait haïs dans sa jeunesse. Il croyait avoir atteint le comble de l'horreur dominicale lorsque, à dix-huit ans, son amoureuse d'alors l'accompagnait jusqu'à la gare de l'Est où un train l'emmenait, lui et d'autres bidasses, en Allemagne. Mais quand, à sept heures, les dimanches d'hiver, Tom et Victor disparaissent dans le brouillard des essuie-glaces, il ne vaut guère mieux que le deuxième pompe de jadis. Les pluies se confondent, dedans, dehors, et il est ravagé. Une sorte de loque qui circule au radar, se demandant quelle saloperie l'oblige à cela, quémander un jour, négocier trois heures, s'excuser d'un retard, prévenir, justifier, plaider, rugir dans une bagnole inondée sans pouvoir regarder dans le rétroviseur car certainement il verrait ses enfants, bras levés vers leur papa, sous la flotte, dedans dehors, comme lui.
Première.
Jeanne l'emmène dans sa famille. Une grande maison au bord de l'eau, construite par un père qui n'est plus là mais dont la photo trône dans la salle à manger. On boit du pineau, on parle du
Il descend sur la plage et va voir la mer. Lors qu'il revient, ça pépie dans la cuisine. Il se cale dans un coin, comme un os de seiche dans une volière, et découvre, fasciné, une vie de famille sans homme.
Elles ne parlent jamais à tour de rôle mais toujours ensemble. Il croit qu'elles ne s'écoutent pas, en quoi il se trompe, ignorant cet exercice de très haute voltige qu'elles pratiquent avec art et talent, l'une saisissant une bribe de phrase et l'autre un mot qu'elle repasse à la troisième, laquelle se lance dans une cascade verbale stoppée au ras du sens par une réplique qui renvoie la balle à la quatrième, celle-ci repartant dans une haute voltige où il est question de
«Et vous, vous faites quoi dans la vie?» interroge l'une, s'adressant à lui, qui n'a pas bougé ni moufté.
Jeanne répond pour lui:
«Ecrivain.
– C'est un métier, ça?
– Une activité de survie.»