– C'est injuste, tu ne trouves pas?»
Il en reste coi. Victor en profite:
«Je comprends que tu sois vénère! Tu leur diras demain… Salut!»
Clic.
Jeanne donne son avis: un conseil de discipline, c'est grave. Il doit montrer son autorité et marquer le coup. Elle-même, quand elle avait le même age…
Il l'interrompt: C'est une autre histoire, une autre période.
Elle n'est pas d'accord: un conseil de discipline reste un conseil de discipline.
Il lui raconte les siens, dans les années soixante-dix. Elle se moque gentiment:
«Tu vois un rapport entre tes conneries de militant et
– Oui, dit-il.
– Et ça te rend fier?»
Il se marre. Elle secoue la tête, consternée.
Il arrive le dernier au conseil de discipline. Il s'excuse: les embouteillages… Victor est là, assis à côté de sa mère. Le proviseur siège. La professeuse de musique se tient à sa droite, outragée. On ne la présente pas, mais il sait que c'est elle: toutes les professeuses de musique ont des rigidités de clés de sol.
L'heure est grave. Les mines fermées.
Il s'assied à la seule place vide. Victor fuit son regard. La reum le dévisage brièvement, courroucée. Il ne sait pas pourquoi, mais il lui semble que ce n'est pas son fils qui est mis en accusation: c'est lui-même.
La séance commence. Le proviseur s'adresse à lui.
«Est-il vrai, demande-t-il, que vous avez soutenu Victor lorsqu'il a quitté le cours de chant parce que Madame la Professeur de musique, ici présente, demandait à sa classe de chanter un
– Oui, dit-il.
– Pourquoi cela?
– En France, l'enseignement est laïc.
– D'accord», approuve le proviseur.
Il se tourne vers une petite femme blonde qui lui rappelle la Scrupuleuse.
«Madame la Conseillère d'éducation pourrait-elle expliquer au papa de Victor de quoi il s'agit exactement?
– Si fait, fait Scrupuleuse 2.
–
– Voici les données», expose l'autorité disciplinaire.
D'après lesquelles il ressort que l'élève Victor K. a reçu deux heures de colle pour être sorti du cours de musique sans autorisation. Il ne s'est pas présenté le jour dit, un samedi. Mme Scrupuleuse 2 a téléphoné au domicile légal de l'enfant pour demander de quoi il retournait. A quoi l'élève Victor, qui a répondu lui-même, a donné une explication que l'ensemble des participants à cette réunion disciplinaire souhaiterait entendre de la bouche même du prévenu.
«A vous, Victor!» enchaîne le proviseur. Victor se racle la gorge, le nez dans ses godasses.
«Allez-y, jeune homme!
– Eh bien, c'était un samedi, j'étais occupé… Je ne pouvais absolument pas me déplacer…
– … Et savez-vous pourquoi?»
Le glapissement, car c'en est un, vient de Madame la Professeuse de musique.
«Parce que le jeune homme était en prière! Le jeune homme refuse de chanter
– Expliquez-moi, grommelle le père. Je ne comprends rien!
– V as-y, dit sévèrement la reum à son fils.
– C'était un samedi, abdique Victor. J'étais vénère… Je ne voulais pas aller en colle. J'ai dit que je ne pouvais pas bouger parce que c'était sabbat.»
L'ensemble de l'assemblée ne fixe pas le fils mais son pere.
«Dans ces conditions, juge le proviseur, vous comprendrez qu'il est un peu hâtif de votre part de revendiquer pour votre enfant la laïcité de notre collège!
– Certes.
… Et qu'en protégeant indûment votre enfant, vous participez vous-même à la faute.
– N'exagérons rien!
– Vous êtes priés de sortir pendant la délibération.»
La sentence est rendue quelques minutes plus tard: simple avertissement.
«Et tu ne lui as pas donné de baffe?!» s'insurge Jeanne.
Il secoue la tête.
«Il s'est carrément foutu de toi, et tu n'as rien fait?!»
Il n'a jamais frappé ses enfants. Dans les cas les plus graves, il les attrape par le col et les bouscule comme des arbres fruitiers.
«Tu ne devrais pas te laisser faire, poursuit elle. Tu n'auras jamais barre sur lui.
– Je ne peux pas engueuler un enfant que je vois au mieux une fois tous les dix jours.
– Pourquoi?
– Je ne me sens pas capable de l'élever dans ces conditions.»
Jeanne pose ses poings sur ses hanches. Il devine en elle une colère rentrée, un désaccord profond.
«Ton boulot de père, c'est de t'occuper de lui dans toutes les circonstances de sa vie d'enfant. Celle-ci particulièrement.
– D'accord, répond-il. Je discuterai avec lui.
– Ne discute pas. Punis-le.»