Nicolas ne voulait pas dormir. Il était encore devant la télé. Les informations venaient de se terminer en annonçant le retour de la sonde Marco Polo. Conclusion: Il n'y avait pas la moindre trace de vie dans les systèmes solaires voisins. Toutes les planètes visitées par la sonde n'avaient offert que des images de déserts rocailleux ou de surfaces liquides ammoniaquées. Pas la moindre mousse, pas la moindre amibe, pas le moindre microbe.
«Et si Papa avait raison? se dit Nicolas. Et si on était la seule forme de vie intelligente de tout l'univers?…» Évidemment c'était décevant mais cela risquait d'être vrai. Après les informations, on donnait un grand reportage de la série «Cultures du monde», aujourd'hui consacré au problème des castes en Inde.
«Les hindous appartiennent pour la vie à leur caste de naissance. Chaque caste fonctionne selon son propre ensemble de règles, un code rigide que nul ne saurait transgresser sans être mis au ban de sa caste d'origine comme de toutes les autres. Pour comprendre de tels comportements il nous faut nous rappeler que…»
– Il est une heure du matin, intervint Lucie. Nicolas était surgavé d'images. Depuis les problèmes avec la cave, il se faisait bien ses quatre heures de télévision par jour. C'était son moyen de ne plus penser et de ne plus être lui-même. La voix de sa mère le ramena aux pénibles réalités.
– Allons, tu n'es pas fatigué?
– Où est Papa?
– Il est encore dans la cave. Il faut dormir maintenant.
– Je ne peux pas dormir.
– Tu veux que je te raconte une histoire?
– Oh oui! une histoire! Une belle histoire! Lucie l'accompagna dans sa chambre et s'assit au bord du lit en dénouant ses longs cheveux roux. Elle choisit un vieux conte hébreux.
– Il était une fois un tailleur de pierre qui en avait assez de s'épuiser à creuser la montagne sous les rayons de soleil brûlants. «J'en ai marre de cette vie. Tailler, tailler la pierre, c'est éreintant… et ce soleil, toujours ce soleil! Ah! comme j'aimerais être à sa place, je serais là-haut tout-puissant, tout chaud en train d'inonder le monde de mes rayons», se dit le tailleur de pierre. Or, par miracle, son appel fut entendu. Et aussitôt le tailleur se transforma en soleil. Il était heureux de voir son désir réalisé. Mais, comme il se régalait à envoyer partout ses rayons, il s'aperçut que ceux-ci étaient arrêtés par les nuages. «À quoi ça me sert d'être soleil si de simples nuages peuvent stopper mes rayons! s'exclama-t-il, si les nuages sont plus forts que le soleil je préfère être nuage.» Alors il devient nuage. Il survole le monde, court, répand la pluie, mais soudain le vent se lève et disperse ce nuage. «Ah, le vent arrive à disperser les nuages, c'est donc lui le plus fort, je veux être le vent», décide-t-il.
– Alors, il devient le vent?