– Je vous avais dit de le lourder, et maintenant je le découvre en vedette posthume. Vous êtes complètement givré! Qu'est-ce qui vous a pris d'envoyer quelqu'un d'aussi peu expérimenté sur une affaire aussi grave?
– Galin n'est pas inexpérimenté, c'est même un excellent élément. Mais je crois que nous avons sous-estimé l'affaire…
– Les bons éléments sont ceux qui trouvent les solutions, les mauvais sont ceux qui trouvent les excuses.
– Il existe des affaires où même les meilleurs d'entre nous…
– Il existe des affaires où même les plus mauvais d'entre vous ont un devoir de réussite. Aller repêcher un couple dans une cave fait partie de cette catégorie.
– Je m'excuse mais…
– Vos excuses vous savez où vous pouvez vous les mettre, mon beau? Vous allez me faire le plaisir de retourner au fond de cette cave et de m'en sortir tout le monde. Votre héros Galin mérite une sépulture chrétienne. Et je veux un article élogieux sur notre service avant la fin du mois.
–Et pour…
– Et pour toute cette histoire! Et je veux que vous teniez votre bec! Vous ne ferez tout le foin avec la presse qu'une fois cette affaire bouclée. Vous prenez si vous le voulez six gendarmes et du matériel de pointe. C'est tout.
– Et si…
– Et si vous vous plantez, comptez sur moi pour vous gâcher votre retraite!
Elle raccrocha.
Le commissaire Bilsheim savait prendre tous les fous sauf elle. Il se résigna donc à mettre au point un plan de descente.
Dans toutes les cités de la Fédération, c'est la liesse. Les trophallaxies sucrées sont abondamment offertes aux combattantes épuisées. Cependant, ici il n'y a pas de héros. Chacun a accompli sa tâche; bien ou mal, peu importe, tout repart de zéro à la fin des missions.
On panse les blessures à grandes lapées de salive. Quelques jeunes naïves tiennent dans leurs mandibules une, deux ou trois de leurs pattes arrachées au combat, qu'elles ont récupérées par miracle. On leur explique que ça ne se recolle pas.
Dans la grande salle de lutte de l'étage - 45, des soldâtes reconstituent pour ceux qui n'y étaient pas les épisodes successifs de la bataille des Coquelicots. Une moitié joue les naines, l'autre les rousses. Elles miment l'attaque de la Cité interdite de La-chola-kan, la charge rousse, la lutte contre les têtes enterrées, la fausse fuite, l'entrée des tanks, leur déroute face aux carrés des naines, l'assaut de la colline, les lignes d'artilleuses, la mêlée finale… Les ouvrières sont venues nombreuses. Elles commentent chaque tableau de cette évocation. Un point retient particulièrement leur attention: la technique des tanks. Il est vrai que leur caste y tient sa place; à leur avis, il ne faut pas y renoncer, il faut apprendre à l'utiliser plus intelligemment, pas seulement en charge frontale. Entre tous les rescapés de la bataille, 103 683e s'en est bien tirée. Elle n'a perdu qu'une patte. Une broutille quand on en a six à sa disposition. Cela mérite à peine d'être signalé. La 56e femelle et le 327e mâle, qui en tant que sexués n'ont pu participer à la guerre, l'attirent dans un coin. Contact antennaire.
Il n'y a pas eu de problème ici?
Non, les guerrières au parfum de roche étaient toutes dans la bagarre. On est restés enfermés dans la Cité interdite, au cas où les naines arriveraient jusqu'ici. Et là-bas? Tu as vu l'arme secrète?
Non.