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Je permets gentiment qu'on me mette mes souliers, des gouttes dans le nez, qu'on me brosse et qu'on me lave, qu'on m'habille et qu'on me déshabille, qu'on me bichonne et qu'on me bouchonne; je ne connais rien de plus amusant que de jouer à être sage. Je ne pleure jamais, je ne ris guère, je ne fais pas de bruit; à quatre ans, l'on m'a pris à saler la confiture: par amour de la science, je suppose, plus que par malignité; en tout cas, c'est le seul forfait dont j'aie gardé mémoire. Le dimanche, ces dames vont parfois à la messe, pour entendre de bonne musique, un organiste en renom; ni l'une ni l'autre ne pratiquent mais la foi des autres les dispose à l'extase musicale; elles croient en Dieu le temps de goûter une toccata. Ces moments de haute spiritualité font mes délices: tout le monde a l'air de dormir, c'est le cas de montrer ce que je sais faire: à genoux sur le prie-Dieu, je me change en statue; il ne faut pas même remuer l'orteil; je regarde droit devant moi, sans ciller, jusqu'à ce que les larmes roulent sur mes joues; naturellement, je livre un combat de titan contre les fourmis, mais je suis sûr de vaincre, si conscient de ma force que je n'hésite pas à susciter en moi les tentations les plus criminelles pour me donner le plaisir de les repousser: si je me levais en criant «Badaboum!»? Si je grimpais à la colonne pour faire pipi dans le bénitier? Ces terribles évocations donneront plus de prix, tout à l'heure, aux félicitations de ma mère. Mais je me mens; je feins d'être en péril pour accroître ma gloire: pas un instant les tentations ne furent vertigineuses; je crains bien trop le scandale; si je veux étonner, c'est par mes vertus. Ces faciles victoires me persuadent que je possède un bon naturel; je n'ai qu'à m'y laisser aller pour qu'on m'accable de louanges. Les mauvais désirs et les mauvaises pensées, quand il y en a, viennent du dehors; à peine en moi, elles languissent et s'étiolent: je suis un mauvais terrain pour le mal. Vertueux par comédie, jamais je ne m'efforce ni ne me contrains: j'invente. J'ai la liberté princière de l'acteur qui tient son public en haleine et raffine sur son rôle. On m'adore, donc je suis adorable. Quoi de plus simple, puisque le monde est bien fait? On me dit que je suis beau et je le crois. Depuis quelque temps, je porte sur l'œil droit la taie qui me rendra borgne et louche mais rien n'y paraît encore. On tire de moi cent photos que ma mère retouche avec des crayons de couleur. Sur l'une d'elles, qui est restée, je suis rose et blond, avec des boucles, j'ai la joue ronde et, dans le regard, une déférence affable pour l'ordre établi; la bouche est gonflée par une hypocrite arrogance: je sais ce que je vaux.

Ce n'est pas assez que mon naturel soit bon; il faut qu'il soit prophétique: la vérité sort de la bouche des enfants. Tout proches encore de la nature, ils sont les cousins du vent et de la mer: leurs balbutiements offrent à qui sait les entendre des enseignements larges et vagues. Mon grand-père avait traversé le lac de Genève avec Henri Bergson: «J'étais fou d'enthousiasme, disait-il, je n'avais pas assez d'yeux pour contempler les crêtes étincelantes, pour suivre les miroitements de l'eau. Mais Bergson, assis sur une valise, n'a pas cessé de regarder entre ses pieds.» Il concluait de cet incident de voyage que la méditation poétique est préférable à la philosophie. Il médita sur moi: au jardin, assis dans un transatlantique, un verre de bière à portée de la main, il me regardait courir et sauter, il cherchait une sagesse dans mes propos confus, il l'y trouvait. J'ai ri plus tard de cette folie; je le regrette: c'était le travail de la mort. Charles combattait l'angoisse par l'extase. Il admirait en moi l'œuvre admirable de la terre pour se persuader que tout est bon, même notre fin miteuse. Cette nature qui se préparait à le reprendre, il allait la chercher sur les cimes, dans les vagues, au milieu des étoiles, à la source de ma jeune vie, pour pouvoir l'embrasser tout entière et tout en accepter, jusqu'à la fosse qui s'y creusait pour lui. Ce n'était pas la Vérité, c'était sa mort qui lui parlait par ma bouche. Rien d'étonnant si le fade bonheur de mes premières années a eu parfois un goût funèbre: je devais ma liberté à un trépas opportun, mon importance à un décès très attendu. Mais quoi: toutes les pythies sont des mortes, chacun sait cela; tous les enfants sont des miroirs de mort.

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Порфирий — древнегреческий философ, представитель неоплатонизма. Ученик Плотина, издавший его сочинения, автор жизнеописания Плотина.Мы рады представить читателю самый значительный корпус сочинений Порфирия на русском языке. Выбор публикуемых здесь произведений обусловливался не в последнюю очередь мерой малодоступности их для русского читателя; поэтому в том не вошли, например, многократно издававшиеся: Жизнь Пифагора, Жизнь Плотина и О пещере нимф. Для самостоятельного издания мы оставили также логические трактаты Порфирия, требующие отдельного, весьма пространного комментария, неуместного в этом посвященном этико-теологическим и психологическим проблемам томе. В основу нашей книги положено французское издание Э. Лассэ (Париж, 1982).В Приложении даю две статьи больших немецких ученых (в переводе В. М. Линейкина), которые помогут читателю сориентироваться в круге освещаемых Порфирием вопросов.

Порфирий

Философия