Dans la nuit de Paris, le cocher aux yeux de braise conduit porte Saint-Martin ses passagers. Une grosse berline verte les y attend. Les deux voitures sortent sans encombre de la capitale. La scène qui se déroule au relais de Bondy est à la fois pathétique et insolite : Fersen, l’amant, fait ses adieux à sa maîtresse, la reine, puis au mari : le roi ! Chut… Paris dort. Il est deux heures du matin. Les fugitifs ont deux heures de retard sur l’horaire prévu. Dans la voiture somnolent le petit dauphin et sa sœur, et puis la sœur du roi, Madame Élisabeth, la gouvernante, Madame de Tourzel, et puis, fragiles et seuls plus que jamais, Louis et Marie-Antoinette. Tous les douze kilomètres, il faut changer les chevaux tant la berline est lourde et chargée. Le retard ne cesse de croître !
21 juin, huit heures du matin. Paris. Un cri : « Le roi s’est enfui ! » La Fayette envoie dans toutes les directions des soldats pour l’arrêter ! Où est-il parti ? En Bretagne ? En Belgique ? Dans l’Est ? Onze heures, la grosse berline est à Montmirail. Midi, Fromentières ! Tout le monde descend ! On se dégourdit les jambes, on repart. Quatorze heures ! Chaintrix ! Tout le monde descend encore, même si le retard est de trois heures et demie ! À mesure que le temps passe, Louis XVI se rassure : il sait qu’au pont de la Somme-Vesle, le jeune Choiseul l’attend avec soixante cavaliers armés.
Le pont de la Somme-Vesle est atteint à dix-huit heures. Personne ! Les cavaliers, jugeant que la berline ne viendrait plus, sont partis depuis deux heures. Étape suivante, vingt heures, la berline s’arrête devant la maison de poste de Sainte-Menehould. Le détachement armé qui devait s’y trouver n’est pas là non plus. Mais une rumeur parcourt la petite ville : le roi vient de passer. Au conseil de la ville, réuni à la hâte, le maître de poste, Drouet, qui n’a pas reconnu le roi, décrit le passager de la berline comme un « gros homme myope, avec un long nez aquilin, un visage bourgeonné ».
Drouet saute à cheval et dépasse la voiture à vingt-trois heures à l’entrée de Varennes-en-Argonne. Dix minutes plus tard, elle s’arrête sous les voûtes de l’église Saint-Gengoult. Les passagers cherchent leur route. C’est Marie-Antoinette qui tente de lire la carte routière : ils sont perdus ! Les patriotes entourent la voiture. Bien que les passeports soient en règle, Drouet exige que la famille royale descende de la berline et passe la nuit dans l’arrière-boutique de l’épicier Sauce, qui est aussi procureur de la commune. Le lendemain matin, à six heures, deux émissaires de l’Assemblée, Romeuf, aide de camp de La Fayette, et Bayon arrivent à Varennes. À neuf heures du matin, le 22 juin, la berline repart pour Paris. Le 25 juin, elle entre dans la capitale au son lugubre des tambours. Le peuple est silencieux, atterré. Certains sont armés de couteaux, de sabres. Personne ne bouge. On dirait une marche funèbre qui n’en finira plus.
Les Bourbons
Chapitre 14
1791 à 1795 : La Révolution : l’avènement de la RépubliqueL’effervescence et l’enthousiasme gouvernent les clubs qui inspirent l’Assemblée. Le peuple quant à lui subit parfois de rudes revers pendant que la guerre arrive aux frontières et que le roi est emprisonné…