— Comprenez-nous, Fred. Depuis douze ans nous n’avons cessé de vous reloger et depuis douze ans vous n’avez cessé de vous faire repérer, vous avez même réussi à nous fausser compagnie et à rentrer au pays sous notre nez. Vous êtes le repenti le plus encombrant de l’histoire des repentis.
— …
— Nous en sommes arrivés à cette conclusion que si vous-même ne saviez pas où vous vous trouviez, personne ne viendrait vous y chercher.
— …?
— Voyez les bons côtés : fin du dispositif de surveillance, aucune menace en vue, plus de problèmes de voisinage ni de promiscuité.
— Ce que vous faites n’est pas légal, dit Fred, qui comprenait enfin que Tom ne plaisantait pas.
— Légal ? Ce mot dans votre bouche a quelque chose de délicat. Somme toute, vous avez raison. Vous vous êtes longtemps cru au-dessus des lois et vous avez enfin réussi. Ici, tout est permis. Faites ce que bon vous semble. Vous qui taquinez l’adjectif, écrivez votre propre Constitution, personne n’ira la contredire. Édictez vos lois, appliquez-les, et violez-les une par une si c’est votre inclination naturelle. Organisez le crime, proclamez-vous
— Cet endroit dépend-il seulement des États-Unis d’Amérique ?
— Aucune idée.
— …
— Je vous évite la prison à vie à Ryker’s, et là, personne n’aurait rien pu pour vous.
— Tom, je pouvais vous soupçonner de tout sauf d’être un ingrat.
— Combien d’hommes donneraient tout ce qu’ils possèdent pour vivre pareil rêve ? Ermite sur une île déserte ? Tout le monde en parle mais qui l’a jamais vécu à part Robinson Crusoé ?
— …
— Vous serez ravitaillé toutes les semaines. Vous pouvez même nous contacter par radio, mais n’en abusez pas.
— …
— N’est-ce pas l’endroit idéal pour écrire ce grand roman américain ?
Fred tourna à nouveau sur lui-même pour estimer la taille de son île. Elle n’était pas plus grande que cinq minutes plus tôt. Quelque chose lui dit qu’il allait vérifier souvent.
— Bon, il est temps pour moi de vous laisser, fit Tom. J’imagine que vous n’allez pas me serrer la main.
— …
Fred le vit grimper dans son hélico qui lentement disparut dans l’azur. Il n’y eut plus dans l’air qu’un léger vent au relent d’écume, et un grand silence à peine souligné par le ressac.
Il s’assit au bord de l’eau en regrettant de n’avoir pas emporté de lecture.
Fred allait devoir se remettre au travail.