Après ces terres arides où il est impossible de faire disparaître un corps, c’est juste d’eau fraîche que j’ai besoin. L’océan, mon ami. Pas le même que le mien mais il ne doit pas y avoir de grande différence. Au bord d’un océan, je sais faire.
— Tu vois, Joey, tu vas retourner là d’où l’on vient tous, de la mer. Souviens-toi qu’il y a bien longtemps tu n’étais qu’une amibe. Après des millions d’années d’évolution, tu vas boucler la boucle.
La lumière prend des reflets dorés à mesure que le soleil décline doucement. Je n’ai pas croisé de voiture depuis un bout de temps et je me guide à un phare qui se profile au loin. Comme si je n’étais plus seul.
En fait, je le suis bel et bien. Je stationne au pied du phare sans croiser âme qui vive, je klaxonne comme une corne de brume. Le reste de l’humanité doit se planquer dans des bars à siroter des cocktails bien frais avec l’air conditionné poussé à fond. Pour m’en assurer, je crie des choses si choquantes qu’elles feraient sortir de son trou n’importe qui.
J’engage la voiture sur un sentier de sable et l’arrête quand la lumière crue de l’océan me saute aux yeux. Je descends pour le rejoindre, et j’entends craquer sous mes pas des myriades de petits crabes rouges qui cherchent, comme moi, leur chemin vers l’eau.
Pas même un baigneur égaré, ou un pêcheur sur une barque, personne, je suis tout seul face à l’onde argentée à perte de vue. Le jour commence doucement à décliner et quelque chose prend fin là. Melville a raison quand il raconte comment l’homme a toujours été attiré par l’eau. Je m’assieds sur le sable, le cœur à nouveau tranquille, après toute cette frénésie et toute cette violence. La touffeur du jour s’estompe pour laisser place à une brise marine qui vient me caresser le visage. Je ferme les yeux pour mieux sentir mon corps se vider de ses dernières tensions, mais l’irrésistible spectacle de la mer me les ouvre à nouveau.
Comme si tant de beauté ne suffisait pas, j’aperçois un reflet d’acier au milieu des flots doux et bleus, une forme effilée qui dessine des huit dans l’eau avec une belle symétrie. Je ne quitte plus des yeux ce triangle de lumière qui danse de façon régulière, et bien plus rapide que toute vie alentour. Mon cœur se met à battre quand je vois l’aileron s’élancer dans les airs et entraîner avec lui l’animal entier. Il a sauté comme un dauphin qui joue mais ce n’est pas un dauphin et il ne joue pas.