En sortant de la forêt de Woodville, Route 363, je retrouve cette nature de buissons et de branches mortes, et toujours ces fossés pleins de mâchoires noires et fermées qui ne demandent qu’à s’ouvrir. Au milieu de rien je croise l’enseigne du Seafood Wilma Mae, un restaurant de poissons, et j’hésite à m’arrêter pour me tremper la tête dans un seau de glaçons, boire une bière et engloutir des crevettes frites, et pourquoi pas, faire un brin de causette avec les natifs à la peau tannée, avec leur drôle d’accent nasillard et leur débit verbal en boucle. Mais je file droit vers l’ouest en me réservant tout ça pour plus tard, quand je me serais débarrassé de l’autre cinglé qui donne de temps en temps un coup sous le capot comme un battement de cœur isolé.
Trente minutes plus tard, le no man’s land jaune et poussiéreux commence à reverdir au loin, et je vois enfin la pancarte du “State Park” de Wakulla Springs où des touristes s’arrêtent pour prendre une navette et faire la visite, l’appareil photo en bataille, dans l’espoir de surprendre un oiseau bizarre ou un poisson mulet qui saute en l’air.
Le lac Wakulla, bien clair et frais aux abords du parc naturel, s’épaissit peu à peu en descendant vers le sud, pour se transformer en bayou. Je longe la réserve et, guidé par l’odeur et les moustiques, je finis par apercevoir l’endroit que Quint m’a décrit, où soi-disant ça grouille d’alligators qui attendent que la nourriture leur tombe du ciel. Je laisse la voiture sur une avancée de terre encore ferme et je les cherche du regard, ces bestiaux préhistoriques censés vivre là par familles entières.