Warren reformula sa question avec plus de diplomatie mais n’obtint pas la réponse souhaitée. Pourtant, sa cause était juste, et régler le problème seul, sans faire de dégâts alentour, était la meilleure des solutions, même pour cet inconnu qui perdait son sang-froid.
— Foutez-moi le camp…
Le jeune Wayne se laissa gagner par la colère de n’être pas compris, la colère de celui qui ne veut surtout pas se mettre en colère. Il empoigna le type par le col et lui fit mettre un genou au sol, le traîna sur plusieurs mètres et lui plongea la tête dans le dernier tiroir d’une armoire métallique. L’homme hurla, tambourina, suffoqua sans pouvoir se dégager, Warren le fit taire d’un coup de pied dans le tiroir qui lui écrasa la gorge.
Le silence revenu, le jeune Wayne fut le premier surpris d’avoir dansé ce petit pas-de-deux avec tant d’aisance. Il entrouvrit à peine le tiroir, non pour laisser sa victime respirer mais pour pouvoir l’entendre.
— … Une petite vieille qui voulait débarrasser son garage… Dans l’inventaire, il y avait cette console… Elle n’avait aucune idée du prix et j’en ai profité… C’est pas joli mais on fait tous ça… Si vous voulez bien regarder, j’ai un papier signé de la vendeuse, dans un classeur, là, juste au-dessus…
Warren ne doutait pas de la présence de ce document — qui avait permis d’établir un faux certificat — mais de la version qu’on lui servait, si. Il se livrait pour la première fois à un délicat exercice : reconnaître un accent de vérité dans la voix d’un homme qui a la tête coincée dans un tiroir. La vraie difficulté consiste à déterminer le moment précis où l’individu cesse de s’accrocher à son baratin pour cracher tout ce que son tourmenteur veut entendre. Entre ces deux instants-là, la vérité finit toujours par apparaître.
Oui, quand une bonne affaire se présentait, le brocanteur pouvait jouer les receleurs, oui, il laissait venir à lui les cambrioleurs de la région qui visitaient des particuliers, oui cette console avait été volée, il ne savait pas où mais il pouvait contacter les deux gars qui la lui avaient fourguée.
Warren lui demanda d’être convaincant au téléphone afin de les attirer dans l’heure,
Fin prêt pour recevoir les cambrioleurs, il se remémora un passage de
Jerry Costanza, dans son complet brun, la soixantaine paisible, accueillit Belle avec des manières de gentleman. Ses deux hommes de main, en revanche, la détaillèrent de pied en cap comme ils le faisaient avec toutes les femmes, a fortiori celles qu’ils ne pourraient jamais s’offrir. L’un des deux était le modèle de base, fort comme un bœuf, aussi musclé que gras, bloqué à l’âge adolescent, d’une obéissance absolue au boss, et terrorisé par les femmes. Belle n’avait rien à craindre de celui-là mais bien plus de l’autre ; il fallait particulièrement se méfier de ceux, rares et très dangereux, qui restaient minces avec l’âge, continuaient à faire du sport pour ne rien perdre de leur agilité, ne se seraient pas damnés pour un plat de pasta, ne se laissaient bichonner ni par la mamma ni par leur femme, et qu’on ne reconnaissait pas au premier coup d’œil comme des Ritals trop bien nourris. Ceux-là prenaient du galon et devenaient des exécuteurs qu’on traitait comme des champions. En général, ils ne fondaient pas de famille et mouraient au feu en laissant derrière eux un champ de bataille couvert de morts.
À la vue de ces trois silhouettes côte à côte, Belle se revit toute petite, dans le restaurant de Beccegato, quand les tablées d’hommes poussaient des bravos à son arrivée. Elle volait de bras en bras au-dessus des assiettes puis attendait, à la fin du repas, les tours de Chevrolet, de Buick et de Cadillac que ces messieurs faisaient faire à la