Pas le moins du monde impressionnée, elle se chargea elle-même de détendre l’ambiance. Pour avoir été élevée parmi les fauves, elle possédait ce sens inné du contact avec la sauvagerie, et pouvait entrer dans une réserve, aller au-devant d’eux avec cette assurance qui impressionne les bêtes, et les flatter de quelques tapes sur la tête. Elle en avait dressé plus d’un à obéir à ses caprices, des figures notoires qui auraient pu en imposer à ces deux-là, à commencer par Rico Franciosa, dit Ricky the French, « nettoyeur » au service du clan Gallone, le genre de type qui savait rendre un cadavre inidentifiable et brûler tout un étage pour éviter qu’on y retrouve des empreintes. Ricky s’était entiché de la petite et l’emmenait au manège un samedi par mois. Quelques heures durant, sa menotte dans la paluche de Ricky, la gosse s’émerveillait de son premier chevalier servant. Un jour, il avait appelé pour se décommander à cause d’une mission de dernière minute, mais en entendant la petite fondre en larmes près du téléphone, il avait promis de venir la chercher quand même. Cet après-midi-là, pendant qu’elle riait aux éclats devant un numéro de clown, Ricky entrait par effraction dans un cabinet d’avocats pour allumer un feu de joie dans la salle des archives. Belle ne s’était même pas aperçue de son absence et l’avait embrassé sur le front pour le remercier de ce moment inoubliable. Ce jour-là, Ricky s’était dit qu’il ne mourrait pas sans avoir fait d’enfant, et au moins une fille.
Afin de profiter, seul, de sa nouvelle
— Un autre verre, Asia ?
Elle commanda un second Jack Daniel’s sans glace qu’elle apprécia autant que le premier.
— Vous ne vous déplacez jamais sans vos gardes du corps ?
— Sécurité.
— Vous devez être quelqu’un d’important, Jerry.
— Pas tant que ça.
— Vous faites quoi dans la vie ?
— Des affaires. Rien de très excitant. Vous allez vite vous barber si je vous raconte.
— Vous êtes de passage à Paris ?
Costanza fit une réponse évasive et embraya sur la joie d’être à Paris, le charme des rues de Paris, et la lune de miel à Paris qu’il avait promise à sa femme mais qui n’avait jamais eu lieu.
— Jerry, je suis sûre qu’elle attendra cette preuve d’amour tant que vous ne la lui donnerez pas.
Belle n’avait sans doute pas la facilité d’une
— Je suis trop vieux pour jouer les maris romantiques.
— À ses yeux, ce voyage à Paris aurait bien plus de valeur aujourd’hui qu’à l’époque. Elle se sentirait fière de vivre avec un homme qui tient sa parole vingt ans plus tard, et imaginez sa joie de rendre folle de jalousie toutes ses copines qui n’ont pas la chance d’avoir un mari toujours soucieux de les séduire.
— …?
À trois tables de la leur, deux agents fédéraux habillés en faux riches sirotaient un jus d’abricot tout en donnant l’impression d’échanger de bonnes blagues. En fait, les agents Cole et Alden s’adressaient à Tom Quint qui, des écouteurs sur les oreilles, attendait les détails de la mission, dans le « sous-marin » garé avenue Montaigne.
— Vous la voyez, là ? demanda-t-il.