La phrase qu’il venait de prononcer lui fit penser à quelqu’un mais à qui ?
Les deux voyous avaient bel et bien volé cette table
— Quelqu’un vous a rencardés.
— Comment tu sais ça, toi ?
Warren lui fit remarquer qu’il n’avait pas tout à fait la tête d’un gars capable de reconnaître un meuble Napoléon III quand il en croisait un.
— Je sais plus comment il s’appelait, ce petit branleur…
— Guillaume, grogna l’homme à terre. Faut que j’aille à l’hôpital…
— Guillaume comment ? demanda Warren.
— Guillaume j’en sais rien, c’était le fils de famille, le petit con avait besoin de pognon.
L’intuition de Warren avait été la bonne, un voisin ou un visiteur aurait pu connaître l’existence de la console mais seul un proche avait pu éloigner les Delarue au moment opportun. Il ne regrettait plus d’avoir manœuvré comme il l’avait fait ; s’il avait appelé les gendarmes, les parents de Lena auraient connu un drame plus terrible que ce vol : leur fils était un voyou, dont ils avaient été les premières victimes. Warren releva les numéros des cartes d’identité des deux types, prit leur téléphone et les incita à se faire oublier.
— Vous n’avez rien à craindre de la police. Vous avez à craindre de moi.
Il remonta dans sa voiture, quitta l’endroit le plus vite possible et roula jusqu’à la route des Goules qui longeait la montagne sur un à-pic de huit cents mètres. Il se gara contre une rambarde, sortit faire quelques pas au-dessus du vide et appela Lena pour lui dire qu’elle lui manquait plus que jamais.
Asia, Jerry et Giacomo terminaient leurs poissons grillés pendant que, à la table voisine, les trois hommes de main racontaient à mi-voix leurs faits d’armes devant des entrecôtes fondantes. Costanza s’apprêtait déjà à regagner sa chambre pour boire son infusion devant les nouvelles de CNN ; ne lui restait plus qu’à prendre congé sans que les autres ne se sentent obligés d’en faire autant. La compagnie d’Asia l’avait enchanté ; il s’était senti séducteur et viril quand elle l’avait gratifié de quelques œillades à la dérobée, et il avait oublié, deux heures durant, qu’il était le client, et que le client était roi. Il souhaitait à cette adorable créature de trente ans de moins que lui de trouver sa vraie voie, et de quitter ce job d’
C’était bien le premier geste choquant que Giacomo voyait faire à son nouveau partenaire américain. Avait-il glissé quelque chose à l’oreille de la fille ? Une messe basse ? Une invitation à le rejoindre dans sa chambre ? Combien de fois Giacomo avait-il vu ses associés, au moment des mignardises, s’octroyer les filles comme des prises de guerre et en disposer sur-le-champ ? Ces mœurs ne l’étonnaient plus, et il aurait pu les pratiquer lui-même s’il n’avait pas été le mystérieux Giacomo dont personne ne supposait l’infinie timidité devant les femmes. Lui, le dur à cuire, l’homme qui se nourrissait des vices de son prochain, n’avait pas encore séparé les affaires de cœur et les caprices du corps.
Mais ce soir, il n’avait pas envie d’être le timide Giacomo, comme il n’avait pas envie de voir cette fille étonnante, si différente, si mutine, suivre un Jerry Costanza qui se comportait tout à coup comme un vieux barbon. D’un geste lent mais ferme, il posa la main sur l’avant-bras d’Asia et commanda au serveur trois limoncellos dans des grands verres givrés.
— Un digestif, Jerry ? Ça fait les nuits plus paisibles que la camomille.
Surpris, Jerry précisa qu’il n’en prendrait pas. Giacomo répondit qu’il n’y était pas obligé. Jerry crut saisir un euphémisme qui en disait long sur son impatience à le voir quitter la table.
— Ils prennent des digestifs, dit l’agent Cole, le doigt sur son oreillette.
Tom fronça les sourcils et demanda des détails sur ce très léger changement de programme. Au lieu de regagner sa chambre, Jerry avait décidé en effet de rester un moment pour avoir confirmation de l’effronterie de Giacomo, qui faisait tournoyer son verre avec un air de défiance. Un homme avec lequel il avait conclu un pacte à la manière des anciens, persuadé qu’il était de ceux pour qui la parole donnée suffisait. Jerry s’était-il trompé sur son compte ? Avait-il à ce point vieilli qu’il n’était plus capable de jauger un homme au premier coup d’œil ? Giacomo croisa le regard de son second qui n’avait rien perdu de cette soudaine tension à la table des boss :