Le panneau supérieur des fourneaux ayant été enlevé, un grand foyer s’ouvrait à présent devant eux; les silhouettes démoniaques des harponneurs païens, soutiers à bord des baleiniers, s’y dressaient; armés de longues fourches, ils jetaient dans les chaudières brûlantes de gros morceaux de lard qui y sifflaient ou bien ils attisaient, au-dessous, les flammes jusqu’à ce que leurs serpents glissent leurs anneaux hors des portes afin de les saisir par les pieds. La fumée s’en allait au loin en rouleaux tristes. L’huile bouillante tanguait avec le navire comme si elle n’attendait que le moment de leur sauter à la figure En face des bouches des fourneaux, de l’autre côté du foyer, se trouvait le guindeau, vrai sofa marin. La bordée de quart s’y attardait lorsqu’elle était inoccupée, les yeux plongés dans la rougeur incandescente du foyer jusqu’à ce qu’ils leur flambassent dans la tête. Les visages fauve des hommes noircis de fumée, marqués de sueur, leurs barbes emmêlées, le contraste qu’y faisait l’éclat barbare de leurs dents, étaient étrangement mis en relief et hautement colorés par les caprices du feu. Tandis qu’ils se racontaient leurs aventures impies, des récits de terreur, sur le ton de l’allégresse, tandis que leurs rires barbares fusaient, fourchus comme les flammes de leurs fourneaux, tandis que, devant eux passaient et repassaient les harponneurs gesticulant avec leurs cuillères pour les pots, tandis que le vent hurlait, que bondissait la mer, que le navire gémissait et piquait, emportant toujours son enfer rouge, de
C’est ainsi qu’il m’apparaissait tandis que, debout à la barre, je menais durant de longues heures silencieuses ce vaisseau-incendie sur la mer. Enveloppé d’ombre, je n’en voyais que mieux la rougeur, la folie et l’horreur peintes sur le visage des autres. La vue incessante de démons, faisant des entrechats, entre la fumée et le feu, engendra en mon âme d’identiques visions dès que j’eus cédé à l’indicible somnolence qui toujours m’envahit au gouvernail de minuit.
Mais cette nuit-là, une chose étrange m’advint que je ne pus jamais m’expliquer. M’éveillant en sursaut d’un bref sommeil tout debout, je pris une conscience horrible d’une erreur fatale. La barre en os contre laquelle j’étais appuyé me bourra les côtes, le bourdonnement sourd des voiles en train de faseyer siffla à mes oreilles, je crus avoir les yeux ouverts, je crus, à demi conscient porter mes doigts à mes paupières pour les écarquiller. Mais malgré cela je ne voyais nul compas pour guider ma route bien que, me semblait-il, il ne s’était pas écoulé plus d’une minute depuis que j’avais regardé la rose des vents éclairée par la lampe fixe de l’habitacle. Il me paraissait qu’il n’y avait devant moi qu’une obscurité de jais rendue parfois effrayante par des éclairs rouges. Par-dessus tout j’avais l’impression que, quelle que fût la chose ailée, rapide, sur laquelle je me tenais, elle n’allait point tant vers un havre qu’elle ne fuyait les ports derrière elle. Un égarement m’envahit, une rigidité pareille à celle de la mort. Mes mains serrèrent convulsivement la barre et l’idée folle me vint qu’un maléfice l’avait renversée. Seigneur! que m’arrive-t-il? pensais-je. Voilà que dans mon court sommeil je m’étais retourné, face à la poupe, dos à la proue et au compas. Je fis brusquement volte-face, juste à temps pour empêcher le navire d’abattre et sans doute de chavirer. Quelles ne furent pas ma joie et ma reconnaissance d’être libéré de cette hallucination nocturne et de la fatale éventualité d’empanner!
Ne regarde pas trop longtemps le visage du feu, ô homme! Ne rêve jamais quand tu tiens la barre! Ne tourne pas le dos au compas, accepte le premier avertissement de la barre défaillante, ne crois pas aux mensonges du feu lorsque sa rougeur revêt d’horreur toutes choses. Demain, à la lumière du soleil, les cieux seront clairs, ceux dans lesquels les flammes fourchues allumaient le